Comprendre et restaurer les zones humides, matrices du vivant, sentinelles du climat – Ramsar

✴️ *Mon incitation personnelle à la lecture de ce rapport: Un rapport d’EY de juin 2025 (à retrouver dans les ressources en fin de synthèse) analyse le traitement des enjeux biodiversité par les entreprises. Il montre que malgré la montée en puissance des cadres réglementaires comme la CSRD, le TNFD ou le SBTN, la majorité des entreprises restent focalisées sur des enjeux génériques, et de proximité avec l’aval de leur activité. Pourtant, la considération de milieux aussi stratégiques que les zones humides aurait un intérêt stratégique autant qu’une capacité d’impact important. Les zones humides sont des infrastructures naturelles critiques : elles régulent l’eau, stockent le carbone, soutiennent la biodiversité, protègent contre les aléas climatiques. Leur disparition accélérée — 22 % depuis 1970 — représente une perte massive de capital naturel, souvent invisible dans les reporting extra-financiers. Le rapport Ramsar objet de ce post donne une grille de lecture précieuse pour les directions RSE qui souhaitent renforcer la robustesse de leur stratégie biodiversité :

  • Cartographier les dépendances : les zones humides sont souvent en lien direct avec les chaînes d’approvisionnement (agriculture, agroalimentaire, cosmétique, énergie).
  • Identifier les risques physiques et réglementaires : inondations, stress hydrique, conflits d’usage, obligations de restauration.
  • Valoriser les co-bénéfices : solutions fondées sur la nature, adaptation climatique, acceptabilité sociale des projets.
  • Intégrer les zones humides dans les indicateurs de performance : via les outils du TNFD, les métriques de capital naturel, et les plans d’action biodiversité.
    Cela pourrait permettre d’ élargir le périmètre de la responsabilité écologique et de reconnaître les zones humides comme des actifs stratégiques, au même titre que l’eau, le sol ou le climat.
✴️ En quelques mots : Les zones humides disparaissent plus vite que nous ne les comprenons. Depuis 1970, près d’un quart de leur surface s’est évaporé, emportant avec elle des milliards de tonnes de carbone, des millions d’espèces, et des services écosystémiques vitaux pour l’humanité. Ce rapport de Ramsar 2025 en dresse un état des lieux et explique la crise systémique en cours où la perte des zones humides incarne l’effondrement silencieux de notre capital naturel. Le rapport expose les causes profondes de cette érosion — économiques, politiques, climatiques — et propose une feuille de route transformationnelle : restaurer, intégrer, financer, gouverner autrement. Les zones humides ne doivent pas être des marges, mais considérées comme des matrices du vivant, des infrastructures naturelles stratégiques, et des alliées oubliées dans la lutte contre les dérèglements globaux.

Introduction – Le chant profond des zones humides dans un monde en bascule

Un basculement systémique
La perte et la dégradation des zones humides ne sont plus des phénomènes périphériques, mais bien des symptômes d’un effondrement écologique global. Ces milieux sont pourtant les piliers invisibles de notre sécurité hydrique, alimentaire, climatique et culturelle. Leur disparition accélérée — 22 % depuis 1970 — révèle une fracture profonde entre les dynamiques économiques dominantes et les équilibres biogéophysiques essentiels à la vie.

Une convergence des crises
Le rapport articule les zones humides comme nœuds critiques d’un triptyque systémique : climat, biodiversité, eau. Cette approche est renforcée par les dernières évaluations du GIEC et de l’IPBES, qui soulignent l’interdépendance entre les écosystèmes et les trajectoires humaines. Les zones humides sont des matrices au coeur de la biodiversité, et non à sa marge. Leur santé conditionne celle des sociétés.

Des ambitions à la hauteur du péril
Le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, fixe des objectifs ambitieux mais encore largement théoriques : restaurer 30 % des écosystèmes dégradés, conserver 30 % des terres et des eaux, et renforcer les contributions de la nature aux populations. Ces cibles sont confrontées à une inertie politique, à des lacunes de financement, et à une fragmentation des approches.

Un appel à la transformation
Les auteurs de ce rapport proposent une feuille de route transformationnelle, fondée sur l’intégration des zones humides dans les politiques climatiques, hydriques et de développement durable. Ils proposent une refonte des indicateurs de progrès, une reconnaissance des valeurs multiples de la nature (économiques, culturelles, spirituelles), et une mobilisation intersectorielle. Ils insistent sur la nécessité de passer d’une logique de réparation à une logique de préservation proactive, où les zones humides sont vues comme des infrastructures naturelles stratégiques.

Une tonalité d’urgence et d’espoir
Le rapport évoque les initiatives en cours (Défi de l’eau douce, Mangrove Breakthrough), les progrès inégaux des États, et les opportunités offertes par les outils de comptabilité du capital naturel. Il reconnaît les limites des données disponibles, mais refuse que l’incertitude serve de prétexte à l’inaction. L’introduction est un manifeste pour une écologie de la lucidité dont la complexité devient moteur d’action.

Anatomie d’un effacement : la disparition silencieuse des zones humides

Une érosion massive et continue
Depuis 1970, le monde a perdu environ 22 % de la superficie totale des zones humides, soit une disparition moyenne de 0,52 % par an. Cette dynamique touche tous les types de zones humides — des marais intérieurs aux récifs coralliens — avec une intensité variable mais constante. Les marais, tourbières et lacs représentent les pertes les plus importantes en surface. Cette érosion est spatiale mais aussi fonctionnelle, affectant la capacité des zones humides à fournir des services écosystémiques vitaux.

Des facteurs multiples, une trajectoire commune
Une constellation de pressions anthropiques sont responsables de cette dégradation :

  • Pollution (urbaine, agricole, industrielle)
  • Urbanisation et infrastructures
  • Agriculture intensive et drainage
  • Espèces exotiques envahissantes
  • Changements climatiques, qui exacerbent les autres facteurs

Ces pressions varient selon les régions : l’Afrique et l’Amérique latine sont marquées par l’urbanisation et l’industrialisation ; l’Europe par la sécheresse ; l’Amérique du Nord et l’Océanie par les espèces envahissantes.

Un effondrement des services écosystémiques
La perte des zones humides entraîne une réduction drastique des services qu’elles rendent : régulation du climat, purification de l’eau, protection contre les inondations, stockage du carbone, ressources alimentaires et culturelles. Leur valeur économique annuelle est estimée à 7 980 milliards Int$ 2023, soit 7,5 % du PIB mondial. Le coût cumulé des pertes depuis 1970 est évalué à 5 100 milliards Int$ 2023.

Définition du « Int$ » (Wikipedia) : Le dollar international ou dollar Geary-Khamis est une unité qui possède le même pouvoir d’achat que le dollar américain aux Etats-Unis, à un moment donné (ici 2023), il permet de comparer les statistiques entre les pays en indexant les pouvoirs d’achats des différents pays.

Des données encore sous-estimées
Les chiffres disponibles sont probablement en deçà de la réalité, car ils ne tiennent pas compte des zones humides dégradées mais non détruites. La superficie actuelle (1 425 millions d’hectares) pourrait avoir été de 1 837 millions d’hectares en 1970. Cette érosion invisible rend d’autant plus urgente une meilleure surveillance et une comptabilité écologique rigoureuse.

Un appel à la lucidité stratégique
Nous avons donc besoin d’une prise de conscience systémique : la perte des zones humides est un signal d’alarme global sur la trajectoire de nos sociétés. Il est nécessaire d’intégrer ces milieux dans les politiques climatiques, hydriques et de développement, et de reconnaître leur rôle comme infrastructures naturelles critiques.

Ce que vaut la vie : zones humides, capital naturel et dette écologique

Une richesse invisible mais essentielle
Les zones humides génèrent chaque année une valeur économique estimée à 7 980 milliards Int$ 2023, soit plus de 7,5 % du PIB mondial. Cette contribution dépasse celle de nombreux secteurs industriels, tout en étant largement sous-évaluée dans les politiques économiques. Pourtant, leur disparition depuis 1970 représente une perte cumulée de 5 100 milliards Int$ 2023, sans compter les coûts écologiques et sociaux non monétisables.

Des services écosystémiques irremplaçables
Les zones humides assurent des fonctions vitales : régulation du climatépuration de l’eauprotection contre les inondationsstockage du carboneressources alimentairesvaleurs culturelles et spirituelles. Elles surpassent même d’autres écosystèmes naturels en termes de bénéfices pour les populations humaines. Leur valeur n’est pas seulement dans leur utilité, elles possèdent une valeur intrinsèque, en tant que systèmes vivants, sacrés pour de nombreuses cultures autochtones et essentiels à la biodiversité planétaire.

Une dette écologique croissante
La poursuite de leur dégradation entraîne des pertes supplémentaires qui ne sont pas équitablement réparties : les communautés les plus dépendantes des zones humides — souvent rurales, autochtones ou marginalisées — sont aussi les plus vulnérables à leur disparition. L’inaction coûte plus cher que la conservation, et les bénéfices de la restauration dépassent largement les investissements nécessaires.

Des lacunes dans l’évaluation
Malgré leur importance, de nombreux types de zones humides ne sont pas inclus dans les analyses économiques faute de données fiables. Cela concerne notamment les eaux marines peu profondes, les rivières intermittentes, ou les zones humides côtières. Cette absence de données empêche une prise de décision éclairée et renforce la marginalisation de ces milieux dans les politiques publiques.

Un appel à intégrer la nature dans les décisions
Intégrer les zones humides dans tous les niveaux du processus décisionnel est une exigence stratégique. Cela implique de reconnaître leur rôle dans le capital naturel, de réformer les indicateurs économiques, et de combler le déficit colossal de financement qui freine leur conservation. Sans cette intégration, notre capacité à régénérer les biens et services de la biosphère restera compromise.

Restaurer le vivant : vers une écologie de la réparation

Des objectifs mondiaux ambitieux mais fragmentés
Dans les engagements du Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal, il est fixé des cibles de conservation et de restauration des zones humides. Ces objectifs — restaurer 30 % des écosystèmes dégradés, conserver 30 % des terres et des eaux — restent largement théoriques sans une mobilisation politique, financière et institutionnelle cohérente.

Des retombées systémiques
La restauration des zones humides est une solution triple : elle favorise la biodiversité, atténue les changements climatiques, et soutient les objectifs de développement durable. Ces milieux agissent comme des puits de carbone, des réservoirs de biodiversité, et des barrières naturelles contre les catastrophes climatiques. Leur restauration est donc un levier stratégique pour répondre aux crises convergentes.

Quatre priorités pour la décennie à venir
Ainsi, voici les axes d’action prioritaires identifiés:

  1. Intégrer la restauration dans tous les secteurs : agriculture, urbanisme, infrastructures hydriques.
  2. Réformer les logiques économiques court-termistes : privilégier les bénéfices écologiques et sociaux à long terme.
  3. Accroître les financements : combler le déficit structurel qui freine les projets de restauration.
  4. Réorienter les subventions : supprimer celles qui nuisent aux zones humides et renforcer celles qui les protègent.

Un déficit de financement critique
La conservation et la restauration des zones humides souffrent d’un manque chronique de ressources.Des flux financiers préjudiciables, notamment les subventions aux industries polluantes, sapent les efforts de protection. Il faut une réforme profonde des mécanismes économiques, en cohérence avec la cible 18 du Cadre mondial de la biodiversité, qui vise à éliminer les incitations nuisibles à la nature.

Un changement transformateur nécessaire
Il y a une exigence de transformation systémique : il ne suffit plus d’ajuster les politiques existantes, il faut réinventer les cadres de décisionintégrer les approches, et donner aux communautés locales les moyens d’agir. Les zones humides doivent être reconnues comme des actifs stratégiques du capital naturel, et non comme des variables d’ajustement.

Gouverner le vivant : vers une rationalité écologique

Un tournant stratégique
Les auteurs proposent des pistes concrètes pour transformer la conservation des zones humides en une dynamique systémique, intégrée aux politiques économiques, hydriques et territoriales, pas seulement pour protéger ce qui reste, mais surtout pour refonder les logiques de gouvernance autour de la valeur réelle de ces milieux.

1. Réévaluer le capital naturel dans les décisions économiques

La première piste insiste sur la nécessité de reconnaître la valeur plurielle des zones humides — économique, écologique, culturelle — dans les processus décisionnels. Les services qu’elles rendent sont souvent des biens publics, ignorés par les mécanismes de marché. Cette invisibilité conduit à des décisions qui favorisent leur dégradation. Le rapport s’appuie sur les travaux de l’IPBES, qui propose plus de 50 méthodes d’évaluation des valeurs de la nature, applicables aux zones humides. Il appelle à une révolution mentale : intégrer ces valeurs dans la comptabilité nationale et dans les mécanismes financiers.

2. Intégrer les zones humides dans le cycle mondial de l’eau

La deuxième piste rappelle que les zones humides sont au cœur du cycle hydrologique mondial. Elles ne sont pas des entités isolées. Elles sont des nœuds fonctionnels qui régulent les flux d’eau, soutiennent les nappes phréatiques, et protègent contre les extrêmes climatiques. Leur conservation doit donc être intégrée aux politiques de gestion de l’eau, à tous les niveaux — local, national, transfrontalier.

3. Donner priorité aux zones humides dans les politiques publiques

La troisième piste est de repositionner les zones humides comme priorité stratégique dans les politiques d’aménagement, de développement et de résilience climatique. Cela implique de réformer les subventions, de mobiliser les investissements privés, et de renforcer les capacités locales. Le rapport critique les flux financiers actuels qui soutiennent des activités nuisibles aux zones humides, et propose une réorientation vers des investissements régénératifs.

Une gouvernance à refonder
Il faut mettre en oeuvre une refonte de la gouvernance environnementale : il faut passer d’une logique de réparation à une logique de prévention et de valorisation. Cela suppose une coopération intersectorielle, une mobilisation des savoirs locaux et autochtones, et une transparence accrue dans les décisions économiques.

Voir pour agir : cartographier, évaluer, restaurer

Une révolution par les données
Il y a des outils de suivi et d’évaluation qui permettent de mieux comprendre l’état des zones humides, d’identifier les pressions qu’elles subissent, et de guider les efforts de restauration. Il s’agit d’une écologie de la connaissance, fondée sur l’imagerie satellitaire, les cartes d’occupation des sols (LULC), et les systèmes de notation expertisés.

Cartographier pour restaurer

Grâce à des séries chronologiques d’images satellitaires, il est désormais possible de :

  • Identifier les zones humides existantes
  • Évaluer leur état de conservation
  • Repérer les pressions et menaces
  • Déterminer les zones restaurables
    Un système de notation permet d’estimer le degré de restaurabilité selon la transformation subie : les zones devenues urbaines ou industrielles reçoivent un score faible, tandis que les terres agricoles irriguées sont jugées plus propices à la restauration. Cette méthode a été appliquée au bassin du Sebou (Maroc), où 93 % des zones humides ont disparu, illustrant l’urgence d’une approche stratégique.

Méthodologie d’évaluation automatisée

Une méthode théorique permet d’évaluer les impacts sur les zones humides selon quatre dimensions :

  • Hydrologie
  • Qualité de l’eau
  • Végétation
  • Géomorphologie
    Ces impacts sont pondérés selon le type de zone humide (dépression, suintement, plaine d’inondation, fond de vallée). Toutefois, le rapport souligne que certains dommages ne sont détectables qu’en terrain, ce qui signifie que les évaluations nationales pourraient sous-estimer la dégradation réelle.

Un exemple critique : l’Afrique du Sud

Les zones humides sud-africaines se dégradent plus vite qu’elles ne peuvent être restaurées, malgré les investissements. Le rapport présente une typologie de l’état écologique :

  • Gravement modifiées (D/E/F)
  • Modérément modifiées (C)
  • Naturelles ou quasi naturelles (A/B)
    La fonction écosystémique décroît à mesure que le coût de restauration augmente, ce qui appelle à une intervention précoce.

Les ressources

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