ESRS – Anatomie et état des lieux d’un système de durabilité européen en gestation – par l’EFRAG

En quelques mots : Le rapport « State of Play 2025 » d’EFRAG essaye de ne pas être un inventaire passif des premières déclarations de durabilité sous le CSRD. Et c’est plutôt réussi, en notant que l’EFRAG a largement utilisé l’aide de l’IA pour effectuer ses analyses. Et c’est le portrait brut d’un système en train de se chercher, entre rigueur normative et tâtonnements méthodologiques, qui est constitué. À travers l’analyse de 656 rapports issus de la première vague d’entreprises soumises aux ESRS, il montre une Europe du reporting ESG encore fragmentée, mais déjà traversée par des dynamiques puissantes. Trois standards – climat, salariés, gouvernance – dominent le paysage, tandis que des enjeux cruciaux comme la biodiversité, les droits humains ou les communautés restent marginalisés, souvent réduits à des mentions décoratives. Une tension importante apparait clairement entre la volonté de structurer un langage commun de la durabilité, et la réalité d’un reporting encore trop déclaratif, trop centré sur les parties prenantes internes, trop peu connecté aux impacts systémiques. Cela souligne aussi les premiers signes d’une maturité émergente : des plans climatiques validés, des cartographies d’impact plus fines, des politiques sociales enfin reliées à des indicateurs concrets. La question lancinante qui subsiste en fin de rapport: le reporting peut-il devenir un levier de transformation, plutôt qu’un exercice de conformité ? Pour cela, il faudra dépasser les silences statistiques, intégrer les voix oubliées, et faire du reporting un outil de gouvernance, d’innovation et de justice.

Chapitre 1 – Executive Summary : Observations

Une cartographie des premiers pas dans l’ère ESRS
La mise en œuvre du CSRD permet d’entrevoir un panorama des pratiques émergentes en matière de reporting de durabilité, révélant les hésitations des entreprises, leurs audaces, et leurs angles morts dans l’application des normes ESRS. C’est donc ici une plongée dans les entrailles d’un système en gestation, où la rigueur normative côtoie la diversité des interprétations.

Structure et longueur : entre foisonnement et fragmentation
Le premier constat est celui d’une hétérogénéité formelle. Les rapports varient de 25 à 440 pages, avec une moyenne de 115 pages. Cette amplitude traduit moins une différence de maturité qu’une pluralité de styles : certains optent pour une narration dense, d’autres pour une approche plus schématique. Pourtant, derrière cette diversité, une ossature commune se dessine : la plupart des rapports suivent la structure ESRS, articulée autour des standards généraux et des thématiques ESG. Ce socle commun permet une comparabilité à haut niveau, mais les divergences réapparaissent dès qu’on plonge dans les données granulaires, où les formats et contenus varient largement.

Matérialité : une convergence autour de quelques piliers
La notion de matérialité, pierre angulaire du CSRD, révèle des dynamiques intéressantes. Seules 10 % des entreprises considèrent l’ensemble des 10 standards thématiques comme matériels. La majorité se concentre sur 4 à 6 standards, avec une convergence marquée autour de trois piliers : le climat (E1), les salariés (S1), et la conduite des affaires (G1). Ces trois thématiques sont jugées matérielles par plus de 90 % des déclarants. À l’inverse, des sujets comme les microplastiques, les droits des peuples autochtones ou le bien-être animal restent marginalisés, souvent relégués à des mentions anecdotiques.

Cette hiérarchisation des enjeux reflète-t-elle une réelle analyse de double matérialité ou une forme de conformisme stratégique ? Le fait que certains sous-thèmes soient jugés matériels par moins de 5 % des entreprises suggère une vision encore très sectorielle et peu systémique des interdépendances entre enjeux environnementaux et sociaux.

Engagement des parties prenantes : un entre-soi persistant
Le processus de double matérialité repose sur l’engagement des parties prenantes. Or, l’analyse révèle une prédominance des acteurs internes et économiques : 97 % des entreprises consultent leurs salariés, 70 % leurs clients, 65 % leurs fournisseurs, et 60 % leurs investisseurs. En revanche, les ONG (33 %), les communautés locales (30 %), les syndicats (10 %) et le monde académique (15 %) restent largement en marge. Ce déséquilibre soulève une question cruciale : comment prétendre à une évaluation d’impact robuste sans intégrer les voix de celles et ceux qui subissent ces impacts ?

IROs et cartographie de la chaîne de valeur : une approche sectorielle encore cloisonnée
Les entreprises commencent à cartographier leurs impacts, risques et opportunités (IROs) sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Mais cette cartographie reste fortement influencée par le secteur d’activité. Les institutions financières se concentrent sur les entreprises qu’elles financent (downstream), tandis que les industriels privilégient leurs opérations internes et leurs fournisseurs (upstream). Cette sectorialisation, bien que logique, limite la capacité à appréhender les effets systémiques et les externalités croisées.

Disclosures spécifiques à l’entité : une invisibilité méthodologique
Enfin, un point méthodologique mérite l’attention : les disclosures spécifiques à l’entité – ces données propres à chaque entreprise, non prévues par les standards – sont rarement identifiées comme telles. Seules 30 % des entreprises les labellisent explicitement. Cette absence de transparence nuit à la comparabilité et à la traçabilité des informations, et affaiblit la promesse d’un reporting réellement adapté aux spécificités de chaque modèle économique.

Chapitre 2 – Introduction

2025 : l’année zéro du grand basculement
L’année 2025 marque une échéance réglementaire. Mais elle incarne aussi un tournant historique dans la manière dont les entreprises européennes rendent compte de leur empreinte sur le monde. Pour la première fois, le reporting de durabilité devient une obligation légale, encadrée par le CSRD et articulée autour des ESRS. Ce n’est ni une option, ni un exercice de communication : c’est une exigence normative, structurée, vérifiable, et potentiellement transformative.

Mais cette transition s’inscrit dans un contexte paradoxal : alors que la Commission européenne adopte en parallèle un « paquet de simplification » – l’Omnibus – pour alléger les charges administratives et renforcer l’attractivité économique, les entreprises se retrouvent face à une complexité croissante dans l’interprétation et la mise en œuvre des standards. Le rapport souligne cette tension entre ambition réglementaire et faisabilité opérationnelle, entre clarté normative et pluralité des pratiques.

Une première vague révélatrice
Les entreprises de la « vague 1 », celles qui publient leurs premiers rapports alignés sur les ESRS, deviennent les éclaireuses d’un nouveau paradigme. Leurs publications, bien que perfectibles, offrent une matière précieuse pour comprendre les dynamiques à l’œuvre : les zones de flou, les points de friction, mais aussi les innovations méthodologiques et les efforts de structuration. Ce rapport ne prétend pas à l’exhaustivité, mais il capte les signaux faibles et les tendances lourdes d’un système en train de se construire.

Il faut saluer ici l’intention du document : non pas juger, mais observer. Non pas prescrire, mais éclairer. Dans cette phase d’émergence, chaque rapport devient un laboratoire, chaque entreprise un cas d’école, et chaque ligne de reporting une tentative de concilier conformité, pertinence et sincérité.

Chapitre 3 – Scope

Une radiographie du terrain : qui sont les pionniers du reporting ESRS ?
Comprendre les pratiques de reporting, c’est aussi comprendre les contextes dans lesquels elles émergent. Il ne s’agit pas seulement de savoir ce qui est dit, mais par qui, et dans quelles conditions.

L’analyse couvre les rapports de durabilité publiés avant le 20 avril 2025, reflétant l’exercice 2024, par les entreprises soumises à la première vague du CSRD. Ce sont les grandes entités – souvent cotées, souvent transnationales – qui ont franchi les premiers le seuil de cette nouvelle exigence. Et leur diversité est grande : 656 rapports ont été collectés, couvrant 83 % d’entreprises non financières et 17 % d’institutions financières, avec une forte représentation du secteur manufacturier (38 %).

Une Europe en mouvement, mais inégalement mobilisée
La géographie des déclarants révèle une Europe à plusieurs vitesses. La France (16 %), l’Allemagne (13 %) et la Finlande (12 %) dominent le paysage, tandis que des pays comme l’Italie ou l’Espagne affichent une présence plus modeste. Hors UE, seuls quelques acteurs suisses et britanniques se sont engagés dans l’exercice, souvent de manière volontaire. Ce volontarisme, même en l’absence de transposition nationale du CSRD, témoigne d’un changement de paradigme : la durabilité devient un langage commun, au-delà des frontières réglementaires.

Des entreprises de grande taille, mais aux profils variés
Les entreprises analysées sont majoritairement grandes, comme l’exige le CSRD 1.0 : plus de 500 salariés, 25 M€ d’actifs ou 50 M€ de chiffre d’affaires. Mais derrière cette homogénéité apparente, les profils sont plus contrastés. Les entreprises non financières présentent une large gamme de tailles, avec des revenus moyens très variables selon les pays. Les institutions financières, quant à elles, affichent des bilans massifs, notamment en France, Espagne et Belgique.

Ce panorama montre que le premier cycle de reporting ESRS s’est déployé sur un terrain vaste, mais encore élitiste. Il faudra attendre les vagues suivantes pour voir émerger des pratiques plus représentatives des PME, des secteurs moins exposés, et des modèles économiques alternatifs.

Chapitre 4 – Cross-cutting standards

Structure et longueur : le récit éclaté de la durabilité
Les déclarations de durabilité varient de 25 à 440 pages, avec une moyenne de 115 pages. Ce n’est pas la taille qui fait la qualité, et l’analyse le confirme : ni le nombre de standards matériels, ni la taille de l’entreprise ne corrèlent significativement avec la longueur du rapport. Ce sont plutôt des facteurs culturels et sectoriels qui influencent la densité narrative : les pays du Sud (Espagne, Italie) produisent des rapports plus longs, tandis que les pays nordiques privilégient la concision.

Mais derrière cette diversité, la majorité des rapports suivent les standards ESRS, avec une articulation ESG relativement homogène. Cette convergence formelle est un signal fort : malgré les incertitudes, les entreprises s’approprient le cadre réglementaire.

Matérialité : une hiérarchie implicite des enjeux
La matérialité, censée refléter les impacts et risques les plus significatifs, dessine une hiérarchie implicite des préoccupations. Trois standards dominent : le climat (E1, 98 %), les salariés (S1, 99 %) et la conduite des affaires (G1, 93 %). Ce trio forme le socle du reporting ESRS, mais il révèle aussi une forme de standardisation des priorités.

D’autres thématiques, pourtant cruciales, restent marginales : l’eau (E3, 33 %), les communautés affectées (S3, 30 %), ou les droits des peuples autochtones (moins de 5 %). Cette sous-représentation interroge : est-elle le reflet d’une faible matérialité réelle, ou d’une difficulté à appréhender ces enjeux dans les méthodologies actuelles ?

Les entreprises non financières déclarent en moyenne 6 standards matériels, contre 5 pour les institutions financières. Les secteurs comme la construction ou l’énergie affichent jusqu’à 9 standards matériels, tandis que certains acteurs ne déclarent qu’un seul. Cette variabilité témoigne d’une appropriation encore tâtonnante du concept de double matérialité.

Parties prenantes : un dialogue encore trop fermé
Le processus de double matérialité repose sur l’engagement des parties prenantes. Or, l’analyse révèle une asymétrie préoccupante : 97 % des entreprises consultent leurs salariés, 70 % leurs clients, 65 % leurs fournisseurs, mais seulement 33 % les ONG, 30 % les communautés locales, et 11 % les syndicats.

Ce déséquilibre traduit une vision encore très « business-centric » du reporting. Les voix de la société civile, pourtant essentielles pour évaluer les impacts, restent marginalisées. Quelques entreprises pionnières intègrent des représentants communautaires ou académiques, mais elles restent l’exception.

PATs : une cartographie encore embryonnaire des politiques, actions et cibles
Les disclosures sur les PATs (Policies, Actions, Targets) sont souvent lacunaires, voire décoratives. Peu d’entreprises établissent un lien clair entre les politiques déclarées, les actions concrètes et les cibles mesurables. Pourtant, quelques cas exemplaires émergent : des rapports structurés en « one-pagers » par standard, avec des références croisées, des objectifs chiffrés, et une traçabilité des progrès.

Ce type de structuration, encore rare, pourrait devenir une norme de qualité dans les années à venir. Il permet de passer du déclaratif à l’opérationnel, et de rendre le reporting réellement utile pour les parties prenantes.

IROs et cartographie de la chaîne de valeur : vers une vision systémique ?
La cartographie des IROs (Impacts, Risks, Opportunities) commence à se structurer. Certaines entreprises identifient clairement les IROs par segment de chaîne de valeur, en distinguant les impacts positifs et négatifs, les risques et les opportunités. Elles intègrent aussi les parties prenantes externes (investisseurs, communautés, ONG), offrant une vision plus holistique.

Mais cette approche reste minoritaire. La majorité des rapports se contentent d’une cartographie partielle, souvent centrée sur les opérations internes ou les fournisseurs directs. Le défi des prochaines années sera d’élargir cette cartographie à l’ensemble du système socio-écologique dans lequel l’entreprise évolue.

Chapitre 5 – Standards thématiques : Environnement

Plans de transition climatique : entre ambition affichée et flou méthodologique
Le climat reste le pilier du reporting environnemental. 55 % des entreprises déclarent disposer d’un plan de transition pour la réduction de leurs émissions. Mais la réalité est plus nuancée : peu d’entre elles décrivent de manière complète les éléments attendus par l’IG4 (encore à l’état de projet). Les plans sont souvent déclaratifs, rarement opérationnels.

70 % des entreprises affichent des objectifs de réduction compatibles avec une trajectoire à +1,5°C pour leurs émissions de Scope 1 et 2. Mais seules 40 % étendent cette ambition au Scope 3, pourtant souvent majoritaire. Et un tiers n’a pas d’objectifs clairs à court terme. Ce décalage entre ambition climatique et couverture réelle des émissions traduit une forme de myopie stratégique.

60 % des objectifs climatiques sont validés par la SBTi, ce qui marque une avancée vers la crédibilité. Mais là encore, la validation externe reste partielle, notamment dans le secteur financier, où les approches sectorielles (comme la Net-Zero Banking Alliance) dominent.

5.2 Prix interne du carbone et biodiversité : les parents pauvres du reporting
L’adoption d’un prix interne du carbone reste marginale : seuls 20 % des déclarants y recourent, principalement dans les secteurs à forte intensité carbone (mines, énergie, transport). Dans les services, l’outil reste largement ignoré. Pourtant, il constitue un levier puissant pour internaliser les externalités et orienter les décisions d’investissement.

La biodiversité, quant à elle, est encore plus négligée. À peine 30 % des entreprises publient des indicateurs, avec une moyenne de 4 métriques par rapport. Les secteurs les plus concernés (construction, énergie, immobilier) sont les plus actifs, mais la majorité reste silencieuse. La France, la Suède et les Pays-Bas se distinguent par une meilleure couverture, tandis que l’Italie et l’Allemagne accusent un net retard.

Les indicateurs publiés sont souvent spécifiques à l’entité : nombre d’espèces menacées sur les sites, surface restaurée, engagements d’exclusion dans les portefeuilles financiers, ou encore exposition à des zones sensibles. Ces métriques, bien que pertinentes, manquent encore de standardisation, ce qui limite leur comparabilité.

Effets financiers des risques climatiques : vers une quantification des impacts
Quelques entreprises pionnières commencent à quantifier les effets financiers des risques climatiques. Elles cartographient leurs actifs critiques (entrepôts, data centers, infrastructures) face aux aléas climatiques (inondations, canicules, stress hydrique), et estiment les pertes potentielles à l’horizon 2050. Ces analyses sont souvent accompagnées de visualisations géographiques et de programmes de prévention.

Mais ces pratiques restent rares. La majorité des rapports se contentent d’une description narrative des risques, sans chiffrage ni lien clair avec les états financiers. Or, sans quantification, le risque climatique reste une abstraction.

Chapitre 6 – Standards thématiques : Social

Salaires adéquats : une conformité sans granularité
93 % des entreprises déclarent verser des salaires adéquats à leurs employés dans l’EEE. Ce chiffre, en apparence rassurant, cache une réalité plus floue : peu d’entreprises distinguent entre les zones EEE et non-EEE, et encore moins contextualisent leurs déclarations. Le respect des seuils légaux ne suffit pas à garantir une rémunération juste, surtout dans les chaînes de valeur mondialisées. Le reporting reste ici largement déclaratif, sans indicateurs de pouvoir d’achat, de seuil de pauvreté ou de conditions de vie.

Droits humains : une transparence en trompe-l’œil
Les incidents graves liés aux droits humains sont rarement rapportés. 78 % des entreprises déclarent ce point, mais seulement 5 % mentionnent un ou plusieurs cas. Même constat pour les discriminations : 81 % des entreprises les évoquent, mais avec une variabilité extrême dans les chiffres. Dans les chaînes de valeur, la situation est encore plus opaque : un tiers des entreprises abordent le sujet, mais seulement 10 % rapportent des incidents.

Ce silence statistique est-il le signe d’une réelle absence de violations, ou d’une incapacité à les détecter ? Le rapport évoque des cas de discrimination, de harcèlement, et d’abus, mais sans granularité ni analyse des mécanismes de prévention. Le reporting sur les droits humains reste l’un des plus fragiles, malgré son importance éthique et réglementaire.

Salariés : vers une intégration des politiques, actions et résultats
Certaines entreprises commencent à relier leurs politiques RH à des actions concrètes et à des indicateurs de performance. Des cas exemplaires montrent une articulation claire entre politiques de santé et sécurité, programmes internes, indicateurs (accidents, jours perdus), et cibles chiffrées. De même, les politiques de rémunération intègrent des objectifs de réduction des écarts de salaire entre genres, avec des méthodologies transparentes et des ratios de rémunération publiés. Ces pratiques restent minoritaires, mais elles dessinent une voie vers un reporting social plus mature, fondé sur la cohérence entre intentions, moyens et résultats.

Travailleurs de la chaîne de valeur : de la politique à l’action
Le reporting sur les travailleurs indirects commence à se structurer. Certaines entreprises intègrent les principes internationaux (ONU, OIT, OCDE) dans leurs politiques fournisseurs, avec des mécanismes de due diligence, des audits, et des canaux de plainte accessibles. Elles segmentent leurs fournisseurs selon le risque, et adaptent leurs exigences en conséquence. Mais là encore, la majorité reste en retrait. Le lien entre politique et mise en œuvre est souvent ténu, et les mécanismes de suivi peu détaillés. Le défi est de passer d’une approche déclarative à une gouvernance réelle des droits humains dans les chaînes de valeur.

Communautés affectées : vers une reconnaissance des impacts locaux
Un nombre croissant d’entreprises commence à considérer les communautés comme parties prenantes matérielles. Elles publient des indicateurs spécifiques : nombre de personnes touchées par des programmes, accès aux services financiers, investissements communautaires, usage des mécanismes de plainte, évaluations d’impact social. Ces disclosures, encore volontaires, traduisent une volonté de mesurer la valeur sociale créée. Mais leur efficacité dépendra de leur intégration dans les processus de décision, et de leur capacité à refléter les réalités vécues par les communautés.

Consommateurs et utilisateurs finaux : l’émergence d’un récit de responsabilité
Les entreprises à forte exposition B2C commencent à structurer leur reporting sur les impacts consommateurs. Elles publient des indicateurs sur la satisfaction, la consommation responsable, l’inclusion des produits, l’engagement digital, et les mécanismes de plainte. Certaines vont plus loin, en intégrant des initiatives de marque liées à la santé mentale, à l’inclusion sociale ou à la littératie financière. Ce reporting, encore très lié à la réputation, pourrait évoluer vers une véritable évaluation des impacts sociaux des produits et services. Il reste à en renforcer la robustesse méthodologique et la comparabilité.

Chapitre 7 – Annexe

Limites et précautions : un regard lucide sur les biais de l’analyse
Le rapport assume ses limites. Une partie des analyses repose sur l’utilisation de l’intelligence artificielle générative (GenAI), dont les résultats ont été systématiquement vérifiés sur un échantillon de 50 rapports. Malgré cette validation, le risque d’erreurs – ou « hallucinations » – demeure. Les statistiques présentées doivent donc être lues comme des tendances de marché, et non comme des vérités absolues à l’échelle individuelle.

De plus, le périmètre de collecte des rapports s’arrête au 20 avril 2025. Certains documents publiés après cette date n’ont pas été intégrés, ce qui peut biaiser la représentativité. Enfin, le rapport ne prétend pas à l’exhaustivité : il ne couvre que les entreprises soumises à la première vague du CSRD, et ne s’applique pas aux PME non cotées.

Méthodologie : une ingénierie d’analyse à grande échelle
La méthodologie déployée est ambitieuse. 656 rapports ont été collectés via des sources multiples (fournisseurs de données, alertes, recherches avancées). Un moteur GenAI sur mesure a été entraîné pour analyser ces documents selon 13 questions préalablement sélectionnées. Seules 11 ont passé le seuil de qualité défini par la méthode AQL (Acceptable Quality Level), garantissant moins de cinq erreurs par question.

Chaque question a été testée sur un échantillon représentatif, avec des réponses manuelles servant de référence. Les prompts ont été affinés jusqu’à atteindre une précision acceptable, puis déployés à l’échelle du corpus. Cette approche hybride – entre automatisation et vérification humaine – permet de concilier scalabilité et fiabilité.

Glossaire : les fondations conceptuelles du reporting ESRS

Conclusion générale – Un système en construction, entre rigueur normative et pluralité des pratiques

Le système de reporting est en pleine éclosion. L’entrée en vigueur du CSRD et des ESRS marque une rupture : la durabilité devient un objet de reporting structuré, normé, et potentiellement transformateur. Mais cette ambition se heurte à la réalité des pratiques : hétérogènes, parfois lacunaires, souvent encore trop déclaratives.

Les entreprises de la « vague 1 » ont ouvert la voie, avec courage mais aussi prudence. Elles ont tenté de traduire des standards complexes en récits compréhensibles, de relier des politiques à des actions, et de cartographier leurs impacts dans un monde incertain. Certaines ont innové, d’autres ont tâtonné. Toutes ont contribué à faire émerger un langage commun de la durabilité.

Le défi des prochaines années sera double : approfondir la qualité des disclosures, et élargir le périmètre des acteurs engagés. Il faudra renforcer la comparabilité, intégrer les voix de la société civile, et développer des méthodologies robustes pour les enjeux encore sous-traités (biodiversité, droits humains, impacts communautaires). Il faudra aussi éviter que le reporting ne devienne un exercice de conformité vide de sens.

La ressource

State of play 2025 par l’EFRAG

Pour une transition systémique de l’agribusiness face aux limites planétaires – par l’UNEP

✴️ Mes raisons de lire cette synthèse : L’été 2025 en France est marqué par une tension agricole palpable. La loi Duplomb, adoptée en juillet, cristallise les fractures entre impératifs de compétitivité, exigences environnementales et aspirations citoyennes. En réintroduisant l’usage dérogatoire de l’acétamipride, en relevant les seuils d’autorisation environnementale pour les élevages, et en facilitant les mégabassines, cette loi prétend alléger les contraintes pesant sur les agriculteurs. Mais elle soulève une question fondamentale : alléger les contraintes de quel modèle ? Et pour quel avenir ?. Ce rapport du PNUE montre que les difficultés rencontrées par les agriculteurs — perte de revenus, baisse de productivité, désertification rurale, précarité climatique — sont les symptômes d’un système verrouillé par des règles qui récompensent l’inefficacité écologique et la dépendance aux intrants. La loi Duplomb illustre parfaitement ce que le rapport appelle le « cheaper food paradigm » : un modèle qui sacrifie la durabilité au nom de la compétitivité, tout en externalisant les coûts sur la santé publique, la biodiversité et les générations futures. Elle renforce les dépendances d’investissement, au lieu de les desserrer. Elle consolide les logiques de marché, au lieu de les réorienter.

Alors que la France débat de son modèle agricole, ce rapport nous propose de ne pas confondre simplification et résilience, ou productivité et durabilité. Il nous remet en mémoire que la transition ne se fera pas contre les agriculteurs, mais avec eux — à condition de changer les règles qui les enferment

✴️ En quelques mots : Face à l’aggravation simultanée des crises climatiques, écologiques et sanitaires, le système alimentaire mondial se révèle à la fois vulnérable et responsable. Ce rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) propose une analyse du rôle des agribusiness dans la transformation nécessaire des systèmes alimentaires. C’est un diagnostic des verrous structurels qui empêchent le changement, et d’un appel à réécrire les règles du jeu pour que la durabilité devienne économiquement rationnelle. Les 3 verrous majeurs identifiés : 1. Le paradigme du « cheaper food », qui privilégie la quantité à bas coût au détriment de la qualité nutritionnelle, de la santé publique et de l’environnement. 2. La concentration du pouvoir de marché, qui confère aux grandes entreprises une capacité d’influence disproportionnée sur les politiques et les normes. 3. Les dépendances d’investissement, qui enferment les acteurs dans des trajectoires technologiques et économiques incompatibles avec une agriculture régénérative.
Ces verrous interagissent pour créer un système où les externalités négatives sont invisibilisées, les pratiques destructrices sont récompensées, et les alternatives durables sont marginalisées. Les agribusiness ont le pouvoir de transformer le système à grande échelle, mais ils ne le feront pas sans un changement profond des incitations politiques, économiques et réglementaires.
Les 2 piliers de la solution proposée: 1. Un signal politique fort : les États doivent affirmer une vision claire de la transformation alimentaire, alignée sur les objectifs climatiques et de biodiversité, et créer un espace démocratique pour le débat et l’adhésion citoyenne. 2. Un modèle économique réformé : il faut réorienter les subventions, intégrer la comptabilité du capital naturel, renforcer les régulations, taxer les pratiques polluantes, et soutenir l’innovation durable.

Introduction

Le système alimentaire mondial : un colosse aux pieds d’argile

Notre système alimentaire mondial est à la fois victime et moteur du triple péril planétaire — changement climatique, perte de biodiversité, pollution. Il est responsable d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre, de 70 % des prélèvements d’eau douce, de la moitié de la déforestation mondiale, et d’une part croissante de la pollution de l’air, des sols et des océans. Mais ce système, censé nourrir l’humanité, échoue aussi dans sa mission première : plus de 3 milliards de personnes n’ont pas accès à une alimentation saine, et les maladies liées à l’alimentation sont devenues la première cause de mortalité prématurée dans le monde.

C’est ce paradoxe qui est analysé ici, ce système qui détruit les conditions de sa propre résilience tout en échouant à nourrir équitablement. Le rapport cherche à comprendre pourquoi, malgré l’urgence et les engagements internationaux, la transformation du système alimentaire reste si difficile à enclencher.

Trois verrous systémiques : les racines de l’immobilisme

Le rapport identifie trois « lock-ins » — verrous systémiques — qui empêchent les agribusiness de s’engager dans une transition durable :

  1. Le paradigme du « cheaper food » : une idéologie politique dominante qui valorise la production de masse à bas coût, au détriment de la qualité nutritionnelle, de la santé publique et de l’environnement. Ce paradigme façonne les politiques agricoles, les subventions, les normes commerciales et les attentes des consommateurs.
  2. La concentration du pouvoir de marché : quelques géants de l’agroalimentaire contrôlent des segments clés des chaînes de valeur mondiales. Leur poids économique et politique leur permet de bloquer les réformes, de capter les subventions, et de maintenir un statu quo profitable mais destructeur.
  3. Les dépendances d’investissement : des décennies d’investissements dans des infrastructures, des technologies et des modèles d’affaires intensifs en intrants ont créé des trajectoires verrouillées. Changer de cap implique des coûts élevés, des risques importants, et une remise en cause des logiques de rentabilité.

Ces verrous sont le produit d’un système conçu pour maximiser la productivité et le profit, en externalisant les coûts sociaux et environnementaux. Ils définissent les « règles du jeu » pour les agribusiness, et rendent la transition durable économiquement risquée et politiquement marginale.

Agribusiness : catalyseurs potentiels ou gardiens du statu quo ?

Les agribusiness, en raison de leur position centrale dans les chaînes de valeur, ont le pouvoir de transformer le système à grande échelle. Mais ce pouvoir est aujourd’hui inhibé par les règles du jeu. Pour libérer leur potentiel de transformation, il faut changer ces règles — et cela relève avant tout des gouvernements.

Le rapport appelle donc à une double action publique :

  • Un signal politique fort : une vision claire et ambitieuse de la transformation des systèmes alimentaires, articulée autour des engagements climatiques, de biodiversité et de santé publique.
  • Une refonte des incitations économiques : des politiques fiscales, réglementaires et financières qui rendent la transition durable plus rentable que le statu quo.

Les verrous systémiques du système alimentaire et les règles du jeu pour l’agribusiness

Un système résilient… à sa propre transformation

Le système alimentaire mondial résiste à la transformation précisément parce qu’il a été conçu pour résister aux chocs. Sa résilience structurelle – forgée par des décennies de décisions politiques, d’innovations technologiques et de dynamiques de marché – le rend imperméable aux réformes profondes. Ce chapitre dissèque les trois verrous systémiques qui figent les pratiques des agribusiness dans un modèle extractif, inefficace et destructeur.

Verrou n°1 : Le paradigme du « cheaper food »

Ce paradigme, hérité de l’après-guerre, repose sur une croyance tenace : produire toujours plus, toujours moins cher, serait synonyme de sécurité alimentaire et de prospérité économique. Il a façonné les politiques agricoles, les subventions, les normes commerciales et les attentes des consommateurs. Mais cette logique a un coût caché : elle externalise les impacts environnementaux et sanitaires, favorise la surproduction de denrées peu nutritives (grains, sucres, huiles), et inhibe toute régulation ambitieuse.

Ce paradigme a conduit à une dérégulation massive des marchés agricoles, à une sous-évaluation des externalités négatives, et à une réticence politique à taxer les produits polluants ou malsains. Il a aussi marginalisé les approches de demande — comme la réduction de la consommation de viande ou d’ultra-transformés — pourtant cruciales pour rééquilibrer le système.

Verrou n°2 : La concentration du pouvoir de marché

La dérégulation et les subventions ont permis à une poignée de géants de l’agroalimentaire de dominer les chaînes de valeur mondiales. Ces oligopoles et oligopsomes exercent une pression écrasante sur les producteurs, limitent l’innovation disruptive, et captent les leviers politiques. Leur pouvoir économique se double d’un pouvoir politique : lobbying opaque, captation réglementaire, influence sur les normes environnementales et sanitaires.

Le rapport montre comment cette concentration empêche les petits producteurs d’adopter des pratiques durables, faute de marges suffisantes ou de liberté contractuelle. Elle favorise aussi la spéculation financière sur les matières premières agricoles, renforçant la volatilité et les inégalités.

Verrou n°3 : Les dépendances d’investissement

Les agribusiness ont investi massivement dans des infrastructures, des technologies et des modèles d’affaires optimisés pour le statu quo. Ces investissements créent des trajectoires verrouillées : il devient économiquement irrationnel de changer de cap. Les brevets, les plateformes numériques, les systèmes de semences propriétaires, les chaînes logistiques intégrées… tout concourt à maintenir le système en l’état.

Le rapport évoque la « paradoxe de Jevons » : plus on améliore l’efficacité, plus on stimule la demande, et plus on aggrave les impacts. Il montre aussi comment les investissements publics en R&D ont été détournés vers l’intensification des cultures de base, au détriment de l’innovation agroécologique.

Les règles du jeu : une incitation à détruire
Ces trois verrous interagissent pour créer un environnement où les pratiques les plus néfastes sont les plus rentables. Les externalités — émissions de GES, perte de biodiversité, pollution, malnutrition — sont invisibles dans les prix. Les entreprises qui les génèrent prospèrent, celles qui les évitent peinent à survivre. Le rapport chiffre ces coûts à 19 000 milliards de dollars, soit deux fois la valeur du marché alimentaire mondial.

De l’amélioration incrémentale à la transformation systémique
Le rapport critique les engagements volontaires des agribusiness : certifications, initiatives RSE, plateformes multi-acteurs… qui restent fragmentaires, peu contraignants, et souvent inefficaces. Il appelle à un changement de règles, porté par les États, pour rendre la transition durable économiquement viable et politiquement incontournable.

Changer les règles du jeu pour l’agribusiness

Dans ce chapitre, les auteurs proposent une feuille de route pour transformer les incitations et les contraintes qui régissent les pratiques des agribusiness. Ils s’appuient sur le fait que tant que les règles du jeu récompensent les pratiques non durables, la transition restera marginale. Le changement doit venir des États, appuyés par les institutions internationales, les investisseurs et la société civile.

🔹 Signaler un engagement politique fort et systémique

1. Définir une vision claire de la transformation des systèmes alimentaires

  • Les États doivent articuler une vision cohérente, multisectorielle et ambitieuse de la transformation alimentaire.
  • Cette vision doit dépasser l’agriculture pour inclure la santé, l’environnement, le commerce et l’industrie.
  • Elle doit s’aligner sur les engagements climatiques (Accord de Paris) et de biodiversité (GBF), avec des cibles mesurables.

2. Créer un espace politique pour le changement par la transparence

  • La transparence sur les externalités environnementales et sociales des chaînes alimentaires est essentielle.
  • Il faut harmoniser les cadres ESG (environnement, social, gouvernance) et renforcer les obligations de divulgation.
  • Les États doivent imposer des obligations de diligence raisonnable incluant les risques environnementaux.
  • Sensibiliser les citoyens au « vrai coût de l’alimentation » est crucial pour légitimer les réformes.

🔹 Construire un modèle économique favorable à la transformation

1. Rééquilibrer les incitations financières

  • Les subventions agricoles doivent être réformées : découplées des volumes et réorientées vers des pratiques durables.
  • L’investissement public en R&D doit soutenir l’innovation agroécologique et les systèmes circulaires.
  • Les investisseurs privés doivent intégrer les bénéfices à long terme des pratiques net-positives dans leurs analyses de risque-rendement.

2. Intégrer la comptabilité du capital naturel

  • La comptabilité du « vrai coût » (True Cost Accounting) doit devenir un outil central de décision publique et privée.
  • Des cadres existent (TEEBAgriFood, SEEA, Capitals Coalition), mais doivent être harmonisés et rendus opérationnels.
  • L’alignement entre comptabilité environnementale et comptabilité d’entreprise est essentiel pour suivre les progrès.

3. Renforcer les leviers réglementaires au-delà de la finance

  • Intégrer les objectifs environnementaux dans les politiques commerciales.
  • Réguler les environnements alimentaires : achats publics, étiquetage, urbanisme, etc.
  • Créer des « sandboxes » réglementaires pour tester des modèles innovants.
  • Réformer les règles de propriété intellectuelle pour faciliter la diffusion des innovations durables.

4. Augmenter le coût des pratiques non durables

  • Taxer les externalités négatives : émissions, pollution, intrants chimiques.
  • Appliquer le principe du pollueur-payeur.
  • Réguler les acquisitions prédatrices (« green killer acquisitions ») qui étouffent l’innovation.
  • Encadrer l’influence politique des grandes entreprises (lobbying, portes tournantes).
  • Encourager les recours juridiques d’intérêt public pour faire respecter les droits environnementaux.

Les ressources

La France en avance sur la conformité, en retard sur l’intégration stratégique – KPMG

En quelques mots: Le premier millésime de l’ère de la transparence normative imposée par la CSRD et les normes ESRS a été passé au crible par KPMG. Il impressionne par son volume — 145 pages en moyenne — et par la solidité technique du socle posé : double matérialité intégrée dans la gouvernance, climat élevé au rang de pilier stratégique, socle social fiable, conduite des affaires rodée. Mais derrière cette façade robuste, le diagnostic révèle des zones grises préoccupantes : données incomplètes sur certaines normes environnementales, leviers stratégiques du scope 3 et de l’adaptation climatique encore sous-exploités, couverture sociale limitée au périmètre interne, connectivité financière embryonnaire. Le constat est clair : les entreprises Françaises ont su livrer des rapports conformes et denses, mais le prochain rendez-vous ne pourra plus se contenter de la conformité. Il devra prouver que la donnée extra-financière n’est pas un exercice réglementaire uniquement, mais se transforme bien en outil de décision, d’investissement et de transformation stratégique.

Un tournant historique du reporting extra-financier
Les grandes entreprises françaises publient pour la première fois leurs états de durabilité conformément à la CSRD et aux normes ESRS, donnant un panorama concret de leurs engagements, mais aussi des aspérités de leur trajectoire durable.

KPMG revendique une approche exhaustive : 54 entreprises issues du CAC 40 et du Next 20, scrutées à travers une grille de plus de 400 critères croisant lecture quantitative et analyse qualitative. L’objectif de cette analyse : dégager les signaux faibles, identifier les convergences et pointer les écarts qui trahissent encore une maturité en construction.

Dès ce premier millésime, quelques lignes de force émergent :
– la double matérialité comme pivot méthodologique ;
– l’intégration des Impacts, Risques et Opportunités (IRO) au cœur des modèles d’affaires ;
– des plans de transition déjà inscrits dans la stratégie ;
– une dynamique d’amélioration continue amorcée.

Analyse de double matérialité

La double matérialité est l’élément le plus abouti du reporting CSRD. 85 % des entreprises décrivent l’intégralité des prérequis et 2/3 intègrent explicitement les parties prenantes à l’exercice, souvent via des mécanismes de consultation détaillés. La gouvernance est mobilisée : 4 entreprises sur 10 obtiennent la validation formelle de leur comité d’audit.

Cette robustesse tient au fait que beaucoup capitalisent sur leurs précédentes DPEF et cartographies de risques. Les normes E1 (Climat), S1 (Effectifs) et G1 (Conduite des affaires) sont systématiquement jugées matérielles — preuve qu’elles recoupent des enjeux structurels, indépendants du secteur.

Une matérialité sélective
Certaines thématiques environnementales (E2 Pollution, E3 Eau, E4 Biodiversité) restent moins souvent retenues, souvent pour des raisons de méthodologie encore fragile ou d’outils sectoriels incomplets. À l’inverse, la convergence est totale sur le climat, les conditions de travail et la lutte anticorruption.

Personnalisation et chaîne de valeur
Près de 6 entreprises sur 10 identifient au moins un IRO matériel spécifique à leur activité : cybersécurité, données personnelles, usage responsable de l’IA… Ces sujets « sur mesure » traduisent une volonté de coller à la réalité opérationnelle, même s’ils restent minoritaires en volume. En moyenne, 20 % des IRO sont exclusivement liés à la chaîne de valeur, un chiffre qui grimpe à 50 % dans certains secteurs (grande consommation, luxe, transports).

Un foisonnement d’IRO, mais un équilibre défavorable aux opportunités
La distribution est hétérogène : médiane à 42 IRO matériels par entreprise, mais un écart de 30 à plus de 80 selon la complexité de la chaîne de valeur. 70 % sont des impacts négatifs ou des risques ; les opportunités et impacts positifs restent plus discrets, concentrés surtout sur la norme climat.

Angles morts persistants
Malgré cette maturité, des zones grises subsistent : définition des seuils de matérialité, granularité des critères de cotation, prise en compte élargie de la chaîne de valeur. KPMG recommande notamment de clarifier l’évaluation de la double matérialité, de développer des lignes directrices sur la matérialité d’impact et de rendre les descriptions d’IRO plus lisibles, notamment en termes d’horizons temporels et de localisation dans la chaîne de valeur.

Vue d’ensemble des informations publiées

Les premiers états de durabilité publiés sous CSRD sont volumineux : la longueur moyenne atteint 145 pages, signe d’une ambition documentaire mais aussi d’un risque de dilatation où la lisibilité se perd. KPMG observe une structuration majoritairement alignée sur les exigences ESRS : plus de 80 % des entreprises respectent la division en quatre parties telle que prévue par les normes, et 72 % joignent des annexes à l’intérieur de l’état de durabilité. Ce choix traduit une volonté de conformité minutieuse — un geste technique et juridique — plutôt qu’un exercice rhétorique façonné pour les utilisateurs finaux. La conséquence est double : la conformité crée une assise fiable, mais elle complique parfois la mise en récit et l’utilisation opérationnelle des informations.

La tension entre exhaustivité et hiérarchie de l’information
L’ESRS impose un inventaire vaste d’exigences et de datapoints, mais tous ne se valent pas pour l’utilisateur. Le rapport plaide pour une hiérarchie de l’information — classifier par pertinence — et questionne le caractère obligatoire de certaines exigences minimales (MDR). A l’heure où les décideurs ont besoin d’indicateurs actionnables, la surcharge documentaire peut étouffer le message stratégique. Les entreprises ont d’ailleurs privilégié, dans cette première année, la collecte et la fiabilisation des données ; 87 % ont rencontré des difficultés à appliquer pleinement les MDR relatives aux politiques, actions, cibles et indicateurs (PATM). Cela révèle que derrière l’épaisseur des rapports, subsistent des zones de faible connexion entre stratégie déclarée et preuves chiffrées.

Incorporation par référence et usages volontaires
Nombre d’émetteurs ont recouru à l’incorporation par référence pour alléger l’Etat de Durabilité (EDD), et environ un quart publient les tableaux au format réglementaire attendu. Par ailleurs, près de 94 % mentionnent des certifications externes (ISO 14001, 45001, 50001…), et 24 % ont placé des informations de durabilité hors EDD, dans le Document d’Enregistrement Universel (DEU). Ces choix témoignent d’une économie documentaire en construction : certains éléments sont fragmentés entre annexes, DEU et états de durabilité, au risque de nuire à la traçabilité d’ensemble. KPMG suggère donc une clarification du lien entre publications volontaires et obligations ESRS pour conserver la cohérence du récit.

La perle : un récit ESG qui dépasse les chiffres
Malgré les difficultés de collecte et l’hétérogénéité documentaire, plusieurs entreprises ont réussi à produire un récit ESG qui dépasse l’accumulation d’indicateurs. KPMG rappelle que la valeur d’un état de durabilité réside moins dans le volume des chiffres que dans la chaîne causale : modèles d’affaires, gouvernance, politiques, actions et indicateurs doivent être articulés pour constituer une narrative utile au pilotage. Or, beaucoup de rapports mettent encore l’accent sur les politiques et les actions passées plutôt que sur les plans futurs et la quantification des ressources mobilisées : seulement 17 % documentent les ressources financières allouées aux plans d’action conformément aux prérequis ESRS. Le récit reste donc, souvent, une collection de preuves historiques plutôt qu’un plan financier et stratégique intégrant durabilité et décisions d’investissement.

Transparence contrastée sur les dispositions transitoires
Les états de durabilité montrent un usage des dispositions transitoires prévues par les ESRS ; toutefois, l’activation de ces mesures est fréquemment peu explicite. Une part significative des entreprises incorpore par référence et signale des omissions pour raisons de confidentialité (8 % le déclarent explicitement), ce qui pose une question d’équilibre entre protection stratégique et droit des parties prenantes à une information complète. KPMG note également que seules 7 % des entreprises indiquent formellement recourir aux dispositions transitoires pour la chaîne de valeur, ce qui suggère un flou sur l’étendue réelle des reports et exclusions.

Connectivité émergente avec l’information financière
Les tentatives de tisser un lien entre information financière et information de durabilité restent encore émergentes. Quelques entreprises commencent à articuler impacts financiers anticipés et performances durables, mais la démarche est loin d’être généralisée : seulement 25 % présentent des effets financiers anticipés des normes environnementales. Cette porosité entre finance et durabilité est pourtant décisive pour faire de la RSE une variable de décision stratégique plutôt qu’un exercice de conformité.

Conclusion du chapitre : un rapport institutionnel vers l’intelligibilité
Les grandes entreprises ont répondu à l’exigence réglementaire avec sérieux et volume, mais le défi suivant est de transformer cette masse d’informations en outil stratégique lisible. Il faudra hiérarchiser les données, expliciter les recours aux dispositions transitoires, renforcer la traçabilité entre politiques/actions/cibles/indicateurs et rendre explicite l’intégration financière des trajectoires durables. Sans ces évolutions, la valeur opérationnelle des EDD restera en partie latente.

Environnement : climat

Le climat comme colonne vertébrale — ambition assumée, mise en œuvre hétérogène
Le climat est la thématique la mieux traitée et la plus stratégiquement ancrée dans les premiers états de durabilité. Les entreprises du panel ont saisi que traiter le climat, c’est montrer une trajectoire, des leviers et une gouvernance. 94 % disposent d’un plan de transition climat approuvé par la direction, 91 % publient un plan d’atténuation, 88 % affichent des cibles conformes aux attentes ESRS et 82 % revendiquent l’intégration du plan climat dans leur stratégie globale. Le pilotage climatique a déjà gagné son rang dans les organes de décision.

Pourtant cette appropriation stratégique masque des fragilités opérationnelles. Si les plans existent, seuls 53 % des émetteurs publient l’ensemble des informations « complètes » attendues pour un plan de transition. La formalisation et la quantification des besoins d’investissement et de financement restent les points les plus faibles : une entreprise sur deux n’a pas encore chiffré ou expliqué clairement les ressources financières nécessaires pour mettre en œuvre sa trajectoire. Le lien entre ambitions et allocations budgétaires est donc souvent implicite, non verrouillé dans des ordres de grandeur traçables.

Horizon temporel : long, volontariste… parfois creux
Les trajectoires vont loin — beaucoup affichent des cibles à 2030 et 2050 — mais l’éloignement temporel a deux effets contradictoires. D’un côté, il ancre l’ambition : 55 % ont une cible à 2030, 40 % combinent 2030 et 2050, montrant la recherche d’un pilotage par paliers. De l’autre, il rend la crédibilité dépendante de jalons intermédiaires et de leurs preuves : nombre d’états de durabilité gagneraient à rendre plus lisibles et justifiables les trajectoires revendiquées (méthodologie, hypothèses, mesures d’atténuation chiffrées). KPMG note à juste titre que plusieurs trajectoires sont déclarées « alignées 1,5 °C », mais parfois sans rattachement clair à un référentiel reconnu ou sans validation externe ; la validation par des dispositifs reconnus (SBTi, cadres sectoriels) reste inégale.

Sur ce point, les indicateurs fournis sont révélateurs : un volume non négligeable d’entreprises déclarent des cibles validées par des mécanismes externes — signe de sérieux — tandis qu’un nombre important se réfugie derrière des trajectoires « internes » ou sectorielles, moins lisibles pour un utilisateur externe. Cette diversité de légitimation explique la prudence des lecteurs face à certaines affirmations d’alignement.

Scopes et leviers : le grand fossé du scope 3
Les entreprises concentrent leurs leviers sur les scopes 1 et 2 — efficacité énergétique, recours aux énergies renouvelables, électrification, optimisation opérationnelle — alors que le scope 3, souvent le poste majoritaire d’émissions, reste moins documenté et moins actionné. Les chiffres rapportés dans le rapport traduisent cette asymétrie : la décarbonation de la chaîne d’approvisionnement (achats) est citée, mais la mobilisation opérationnelle et la quantification des réductions attendues sur le scope 3 sont sporadiques. Dans les éléments synthétisés par KPMG, des leviers tels que la réduction du fret, l’éco-conception produit, la gestion de fin de vie sont mentionnés mais pas encore massivement traduits en mesures financières ou contractuelles avec les fournisseurs.

Tant que les émissions induites par les fournisseurs et l’usage des produits ne sont pas traitées par des instruments contraignants (clauses contractuelles, critères d’achat, financements conditionnés), les trajectoires « net zero » risquent de reposer sur des gains domestiques limités et des compensations discutables.

Inventaire GES : des bonnes pratiques, mais des zones d’ombre méthodologiques
Sur les inventaires de gaz à effet de serre, la professionnalisation est visible : l’ensemble du panel s’appuie sur le GHG Protocol, le scope 2 est reporté en market- et location-based, et 76 % des états de durabilité explicite la significativité des catégories du scope 3. Toutefois, la gouvernance méthodologique n’est pas toujours parfaitement clarifiée : 46 % seulement précisent explicitement avoir retenu le périmètre organisationnel fondé sur le contrôle opérationnel. Certaines entreprises complètent avec des méthodologies additionnelles (≈13 %), attestant d’efforts d’ajustement, mais aussi d’un besoin de standardisation quant à la prise en compte du périmètre et des hypothèses.

Énergies et dépendances : le fossile reste majoritaire
Malgré les discours sur la transition, la dépendance aux combustibles fossiles est encore forte : les consommations énergétiques présentées montrent en moyenne 72 % d’énergies fossiles, 17 % d’énergies renouvelables et 11 % d’énergie nucléaire. Si 81 % des entreprises publient leurs consommations alignées aux ESRS, la capacité à transformer ces mix énergétiques à court terme nécessite des investissements, des arbitrages et des coopérations (contrats d’achat d’énergie, remontée de la production bas carbone dans la chaîne). Là encore, la question des montants et des calendriers d’investissement est centrale et insuffisamment étayée dans beaucoup de plans.

Risques physiques et de transition : des processus engagés, l’adaptation en retard
Les entreprises ont initié la cartographie des risques physiques et de transition : 57 % fournissent une évaluation des risques physiques complète selon les attendus ESRS, 52 % pour les risques de transition. Cependant, l’adaptation — qui consiste à transformer ces analyses en mesures concrètes de résilience — est encore trop peu traitée : seules 30 % des entreprises publient l’ensemble des points de données relatifs aux politiques et actions d’adaptation. KPMG insiste sur un fait pratique : la maîtrise des risques climatiques exige d’intégrer l’adaptation dans la planification financière et opérationnelle, faute de quoi les entreprises resteront vulnérables aux chocs (interruptions de chaîne, hausse des coûts d’approvisionnement, sinistres).

Synthèse critique du chapitre

Le chapitre livre un message double et non contradictoire : d’un côté, le climat est devenu une priorité stratégique, avec des plans, des cibles et un ancrage au niveau dirigeant ; de l’autre, la traduction opérationnelle — investissements chiffrés, traitement massif du scope 3, adaptation robuste, articulation finance-durabilité — reste incomplète. Les rapports témoignent d’un passage de l’ère des engagements à l’ère de la preuve : les entreprises savent dire « nous allons », elles doivent maintenant montrer « comment, combien et quand ».

Les entreprises gagneraient à rendre immédiatement visibles trois choses : des jalons intermédiaires chiffrés et traçables, des engagements contractuels et financiers pour traiter le scope 3 (clauses d’achat et schémas d’incitation), et une cartographie financière des besoins d’investissement en transition et adaptation, alignée sur les processus budgétaires existants.

Environnement : au-delà du climat

Si le climat occupe le devant de la scène, le reste du spectre environnemental révèle un tableau plus contrasté — un patchwork où coexistent sujets historiquement bien couverts, normes encore émergentes et zones entières de sous-traitement.

Pollution : le poids des politiques, le vide des données
Les publications sur la pollution sont dominées par les politiques et actions préventives, détaillées par plus des trois quarts des entreprises. En revanche, les indicateurs chiffrés restent lacunaires, surtout hors Union européenne, ce qui fragilise l’évaluation réelle des performances.
Les polluants du registre E-PRTR (European Pollutant Release and Transfer Register) sont mieux documentés (69 % de complétude quand l’enjeu est jugé matériel), grâce à une base réglementaire européenne existante. Mais la collecte exhaustive demeure un défi, notamment pour les chaînes de valeur globalisées.

Deux sous-enjeux illustrent les disparités :
Microplastiques : matériels pour seulement 17 % des entreprises, mais fortement concentrés dans des secteurs comme le luxe et la cosmétique.
Substances préoccupantes (SC – Substances of Concern) et extrêmement préoccupantes (SVHC – Substances of Very High Concern) : matériel pour 35 % et 48 % des entreprises respectivement, mais difficile à quantifier. Les volumes moyens déclarés (≈ 13,8 kt générées/achetées pour les SC, ≈ 17,6 kt quittant l’entreprise pour les SVHC) masquent des écarts sectoriels considérables. Le frein est autant technique (traçabilité chimique) qu’organisationnel (coordination fournisseurs).

Ressources en eau : une norme jugée secondaire mais bien maîtrisée
La norme E3 sur l’eau est la moins fréquemment jugée matérielle, mais sa publication est globalement maîtrisée. La consommation moyenne déclarée atteint 14,4 millions de m³, avec 32 % provenant de zones à stress hydrique. Les difficultés résident dans la distinction entre prélèvement vs consommation (cette dernière étant l’eau non restituée au milieu naturel) et dans la collecte exhaustive. Peu d’entreprises fixent des cibles de performance liées aux impacts hydriques, et celles qui le font se limitent souvent à des indicateurs opérationnels simples, sans articulation forte avec la gestion des risques ou l’investissement.

Biodiversité : l’éveil prudent
La biodiversité reste une norme peu matérielle pour la majorité des secteurs, au même niveau que l’eau. Pourtant, 4 entreprises sur 10 déclarent des sites situés dans ou à proximité de zones sensibles (ZSB – Zones Sensibles pour la Biodiversité). Les données publiées sont souvent partielles et centrées sur certains périmètres.
Le changement d’usage des sols, eaux et mers — indicateur central de la norme E4 — est quantifié de façon complète par seulement 15 % des entreprises concernées, faute d’outils adaptés.
Les politiques contre la déforestation sont plus répandues (trois quarts des entreprises concernées), mais la mesure d’impact reste marginale : seules deux entreprises publient des données chiffrées sur le sujet. Les leaders sur la biodiversité sont concentrés dans les secteurs infrastructures & immobilier et grande consommation & distribution.

Économie circulaire : la valeur d’un héritage réglementaire
La norme E5 sur l’utilisation des ressources et l’économie circulaire est la deuxième norme environnementale la plus souvent jugée matérielle (72 %), portée par des années de reporting réglementaire et sectoriel. Les entreprises publient volontiers des indicateurs sur les flux sortants :
75 % des déchets produits sont valorisés (taux moyen),
– 5 % sont des déchets dangereux,
– quantités moyennes : 704,7 kt valorisées vs 42,2 kt éliminées.

Si la gestion des déchets est bien couverte, les aspects amont (éco-conception, circularité de l’approvisionnement) restent en retrait, faute de méthodologies harmonisées et d’incitations fortes. Certaines entreprises peinent aussi à appliquer la distinction attendue entre matières biologiques et techniques.

Une constante : la difficulté de la collecte exhaustive
Que l’on parle de polluants, d’eau, de biodiversité ou de flux de matières, le point faible est toujours le même : l’exhaustivité de la donnée. Les chaînes d’approvisionnement complexes, la diversité des définitions et l’hétérogénéité des référentiels rendent la complétude difficile.
KPMG le rappelle implicitement : sans indicateurs robustes, la matérialité de ces enjeux reste fragile dans le dialogue avec investisseurs et régulateurs, et ces thématiques risquent de rester périphériques dans les arbitrages stratégiques.

Synthèse critique du chapitre

Au-delà du climat, l’environnement se présente comme une mosaïque où cohabitent :
– des domaines matures, héritiers de normes anciennes (économie circulaire, E-PRTR),
– des enjeux émergents mais encore périphériques (biodiversité, microplastiques),
– et des zones de publication bien structurées mais techniquement complexes (substances préoccupantes, consommation d’eau).

Pour franchir un palier, il faudra :

  1. Rendre la donnée exploitable (collecte intégrée dans les systèmes de gestion, rapprochement avec données fournisseurs),
  2. Créer des passerelles stratégiques entre ces enjeux et les décisions d’investissement,
  3. Sortir de la gestion symptomatique pour aller vers des politiques proactives et chiffrées.

Chapitre 06 — Social

Si l’on compare les volets sociaux aux thématiques environnementales, on sent immédiatement l’effet d’un héritage : celui des obligations sociales déjà bien installées dans les reporting ESG. Le socle est robuste, mais la capacité à transformer cette base en indicateurs dynamiques et cibles ambitieuses reste inégale.

Effectifs : une structure d’information bien rodée
La norme S1 sur les effectifs bénéficie d’un capital de maturité issu des rapports extra-financiers précédents. Les entreprises publient des politiques, actions et indicateurs précis, traduisant une appropriation claire des exigences. Le panel couvre en moyenne 99,8 k salariés et 7 832 non-salariés par entreprise, ces derniers étant plus complexes à documenter — pourtant 55 % des rapports fournissent déjà des informations à leur sujet malgré les mesures transitoires.

Le taux de rotation moyen s’établit à 13,9 %, un chiffre qui, replacé dans le contexte de marchés du travail tendus, est un indicateur clé pour la rétention des compétences.

Diversité et égalité salariale : une maturité à deux vitesses
Les indicateurs de diversité sont massivement intégrés : 96 % des entreprises les publient, avec un haut niveau de complétude. Mais l’égalité salariale entre femmes et hommes, mesurée via le gender pay gap, reste contrastée : seules 59 % fournissent des données exhaustives selon la norme, certaines préférant recourir à des indicateurs alternatifs. Ces choix traduisent soit des contraintes de collecte (multi-pays, systèmes de paie hétérogènes), soit une volonté d’offrir une lecture plus favorable que celle imposée par les datapoints bruts.

Salaires décents et inclusion des personnes handicapées : la lente appropriation
La norme sur les salaires décents est pleinement respectée par 60 % des entreprises, mais avec une grande variabilité dans l’ampleur des informations publiées. Les difficultés tiennent à la méthodologie de calcul et à la collecte des données, notamment dans les pays d’implantation où la définition de “salaire décent” est mouvante ou politiquement sensible.

L’emploi des personnes en situation de handicap affiche une moyenne de 2,4 % des effectifs, avec 68 % des entreprises publiant des données exhaustives. Ici encore, la question est moins celle de la déclaration que celle de l’ambition : rares sont les entreprises qui traduisent ces chiffres en trajectoires cibles ou programmes de montée en proportion.

Santé et sécurité : un haut niveau d’intégration, quelques zones grises
La santé-sécurité au travail bénéficie d’une couverture avancée : 90 % des salariés sont inclus dans un système de management SST, 82 % des rapports publient l’intégralité des données sur les décès liés aux accidents et maladies professionnelles.
En revanche, seules 50 % fournissent tous les points de données sur les maladies professionnelles, souvent par manque de collecte exhaustive ou à cause de limites de périmètre. Les taux moyens affichés — 3,5 accidents avec arrêt par million d’heures travaillées — ne sont pas toujours comparables d’une entreprise à l’autre, faute de méthodologies homogènes.

Normes sociales au-delà de S1 : matérialité sélective
Les normes S2 à S4 (travailleurs de la chaîne de valeur, communautés affectées, consommateurs et utilisateurs finaux) sont moins souvent jugées matérielles, ce qui reflète à la fois des difficultés de mesure dans des chaînes complexes et un manque d’intégration stratégique de ces enjeux. Les questions relatives aux droits des peuples autochtones ou à l’inclusion sociale, par exemple, apparaissent marginales dans les rapports du panel, sauf dans les secteurs fortement exposés (matières premières, infrastructures).

Synthèse critique du chapitre

Le socle social est robuste, surtout pour S1 : la donnée est fiable, les politiques bien établies. Mais deux limites persistent :

  1. Peu de traduction en objectifs chiffrés : la transformation des politiques en cibles mesurables est rare, ce qui limite la redevabilité.
  2. Vision centrée sur l’interne : les travailleurs de la chaîne de valeur et les communautés affectées restent en périphérie du discours, alors que la CSRD pousse à une approche élargie de la responsabilité sociale.

Pour progresser, il faudra renforcer la projection (fixer des trajectoires sociales comme on fixe des trajectoires climat), élargir le périmètre au-delà des salariés directs, et aligner les indicateurs sociaux sur les attentes des parties prenantes externes, notamment investisseurs à impact et régulateurs.

Conduite des affaires

Sur le terrain de la conduite des affaires, les grandes entreprises françaises jouent en terrain connu. Portées par une longue pratique des dispositifs de conformité (devoir de vigilance, codes éthiques, lois anticorruption), elles livrent des états de durabilité où les politiques et actions sont généralement bien structurées, exhaustives et claires. Les volets relatifs à la prévention et à la lutte contre la corruption, en particulier, se distinguent par leur granularité et leur lisibilité.

Une transparence partielle sur le lobbying et l’influence
Là où la solidité se fissure, c’est sur les sujets de lobbying et d’influence politique. Dans plusieurs états de durabilité, il est difficile de savoir si ces thématiques ont été jugées matérielles dans l’analyse de double matérialité (DMA) — ou simplement mises de côté. L’absence de position explicite affaiblit la lecture globale de la gouvernance éthique, d’autant plus que la CSRD attend un traitement clair des impacts, risques et opportunités liés aux activités d’influence.

Le talon d’Achille : les délais de paiement
L’indicateur des délais de paiement illustre la limite entre volonté déclarative et réalité opérationnelle. Près de la moitié des entreprises ne publient ces informations que sur un périmètre restreint. Et parmi celles qui les mentionnent, 33 % signalent explicitement des axes de progrès, souvent liés à :
– l’incomplétude des données disponibles,
– des difficultés de collecte,
– ou des ambiguïtés sur le périmètre à couvrir (fournisseurs directs, filiales, entités internationales).

En pratique, cette lacune touche directement à la performance éthique et à la gestion responsable de la chaîne d’approvisionnement, deux marqueurs d’image et de crédibilité ESG.

Synthèse critique du chapitre

La conduite des affaires bénéficie d’un socle réglementaire ancien et maîtrisé, ce qui se traduit par des publications solides sur les politiques anticorruption, les codes de conduite et les procédures de vigilance. Cependant, deux angles morts subsistent :

  1. Lobbying : l’opacité persistante entretient le soupçon, alors qu’une déclaration claire renforcerait la confiance des parties prenantes.
  2. Délais de paiement : leur traitement parcellaire affaiblit la cohérence du discours sur la responsabilité économique.

Si la conformité est acquise, la prochaine étape est de basculer vers une gouvernance proactive et transparente, capable d’exposer les dilemmes, de quantifier les progrès et de traiter les points faibles comme des leviers stratégiques plutôt que comme des notes de bas de page.

Perspectives et trajectoires de progrès

Ce chapitre montre à la fois la conscience des chantiers à mener et l’absence, parfois, de feuilles de route suffisamment précises pour les transformer en résultats tangibles.

L’engagement quasi unanime à progresser
KPMG observe une posture largement proactive : 98 % des entreprises du panel annoncent vouloir améliorer leur reporting de durabilité, avec en moyenne plus de cinq axes d’amélioration inscrits dans chaque EDD.
L’horizon fixé est souvent proche : 35 % des plans d’action visent une réalisation à un an, 32 % à deux ans, et 26 % restent dans une temporalité floue (« prochainement », « ces prochaines années »). Cet horizon court est un signe positif… à condition que les actions annoncées se traduisent effectivement dans les publications suivantes.

Les 12 zones de progression prioritaires
La hiérarchie des chantiers identifiés est instructive. En tête :
Inventaire des émissions de GES (39 % des entreprises le citent),
Indicateurs pollution (37 %),
Évaluation des risques climatiques (30 %),
– puis des indicateurs sociaux clés : rémunération (28 %), délais de paiement (26 %), salaires décents (19 %).

Ces priorités révèlent deux choses :

  1. Les défis techniques (collecte de données, homogénéité des méthodes) sont encore un frein majeur.
  2. Les zones d’ombre ne concernent pas seulement l’environnement mais aussi des piliers sociaux et de gouvernance — preuve que la maturité n’est pas homogène entre dimensions ESG.

Répartition des axes de progrès : un prisme encore environnemental
La répartition sectorielle et thématique des engagements montre un poids dominant des enjeux environnementaux, en particulier :
Plan de transition climat (24 %),
Indicateurs économie circulaire (24 %),
Indicateurs biodiversité (4 % seulement, mais sur un sujet en émergence).

Les volets sociaux sont présents mais plus dispersés : indicateurs rémunération, salaires décents, cibles S1, etc. Du côté de la gouvernance, peu d’axes sont explicitement rattachés à des évolutions structurelles de la gouvernance ESG elle-même, ce qui suggère que la dimension « pilotage » reste moins souvent perçue comme un chantier prioritaire.

Un besoin d’intégrer progrès et gouvernance
Un biais est fréquent : la progression est envisagée comme une amélioration « technique » (plus de données, meilleure complétude), alors qu’une partie du défi est politique et stratégique :
– intégrer ces améliorations dans la gouvernance,
– ajuster la structure décisionnelle pour que le suivi ESG ne soit pas cantonné aux équipes RSE,
– inscrire ces trajectoires dans les arbitrages financiers et opérationnels.

Sans ce lien gouvernance–progrès, l’amélioration risque de rester un exercice de conformité plutôt qu’un levier de compétitivité durable.

Synthèse critique du chapitre

Ce chapitre montre que la majorité des entreprises savent où elles doivent progresser et que certaines ont déjà structuré un plan à court terme. Mais il révèle aussi que :

  1. Les engagements restent parfois trop génériques pour être évalués.
  2. L’accent est mis sur la production d’information plutôt que sur son intégration stratégique.

Pour que ces trajectoires produisent un effet durable, il faudra lier systématiquement les engagements de progrès à la gouvernance, aux décisions d’investissement et à la stratégie globale — en somme, passer de la liste d’actions à la feuille de route intégrée.

Rapports de certification de l’information de durabilité

L’entrée en scène de la certification des informations de durabilité marque un tournant : pour la première fois, les états de durabilité (EDD) se voient soumis à une assurance indépendante, formalisée dans un rapport joint ou intégré. Cette validation externe, confiée aux commissaires aux comptes ou à d’autres prestataires habilités, vise à renforcer la fiabilité et la crédibilité de l’information publiée.

Deux formats dominants
KPMG observe que les rapports de certification adoptent principalement deux configurations :
Rapport autonome annexé à l’EDD,
Intégration directe au sein du Document d’Enregistrement Universel (DEU).

La majorité opte pour un format standardisé, avec rappel du périmètre, des travaux effectués et de la conclusion, conformément au cadre légal et normatif en vigueur. Cette homogénéité reflète l’objectif clair de sécuriser la conformité réglementaire avant tout.

Niveau d’assurance : un premier pas
Le niveau d’assurance fourni est généralement limité — étape transitoire prévue par la CSRD avant un passage à un niveau raisonnable dans les années à venir. Cela signifie que l’auditeur se concentre sur la vérification de la cohérence et de l’exhaustivité des informations, sans aller jusqu’à valider chaque donnée avec la même intensité qu’un audit financier complet. Pour les entreprises, c’est un répit technique… mais aussi une occasion manquée d’installer dès maintenant une culture de contrôle plus exigeante.

Une couverture encore incomplète
Le périmètre de certification est parfois restreint par :
les dispositions transitoires,
– l’application progressive des normes ESRS,
– ou la limitation volontaire à certaines sections jugées critiques.

En conséquence, certains points de données — notamment sur les chaînes de valeur, les indicateurs émergents (biodiversité, microplastiques) ou les volets sociaux complexes — échappent encore à une vérification approfondie. Ce choix peut être pragmatique mais crée une géométrie variable de la confiance selon les thématiques.

Un outil stratégique sous-exploité
Aujourd’hui, la certification est souvent perçue comme une contrainte réglementaire. Pourtant, son potentiel stratégique est important :
– identifier les failles de collecte de données,
– améliorer l’intégrité des systèmes d’information,
– renforcer le dialogue avec les investisseurs via une transparence crédible.

Utilisée de façon proactive, elle pourrait devenir un levier de compétitivité, différenciant les entreprises capables de prouver non seulement leur conformité mais aussi la robustesse de leurs processus ESG.

Synthèse critique du chapitre

Cette première vague de rapports de certification montre un dispositif opérationnel mais encore défensif : conformité minimale, niveau d’assurance limité, couverture partielle.
Pour en faire un outil stratégique, il faudra :

  1. Élargir le périmètre de vérification à l’ensemble des données matérielles,
  2. Accélérer la montée en assurance vers un niveau raisonnable,
  3. Utiliser les conclusions des auditeurs comme outil de pilotage interne et non comme simple validation externe.

Conclusion

Un premier millésime dense, une base solide pour accélérer
Les entreprises françaises ont, pour leur première application de la CSRD et des normes ESRS, livré un exercice massif, structuré et globalement robuste, tout en exposant clairement leurs fragilités. L’ampleur des données collectées, l’alignement sur les cadres normatifs et l’intégration des exigences de double matérialité montrent que le socle technique est déjà en place.

Les acquis
Double matérialité : maîtrisée et ancrée dans la gouvernance, avec une intégration des parties prenantes largement documentée.
Climat : plans de transition, cibles, intégration stratégique — le sujet est pris au sérieux.
Socle social : informations fiables sur les effectifs, diversité, santé et sécurité.
Conduite des affaires : gouvernance éthique solide sur les grands classiques (anticorruption, vigilance).

Les marges de progrès
Données incomplètes sur certaines normes environnementales (pollution, eau, biodiversité), souvent à cause de limites techniques de collecte.
Scope 3 et adaptation climatique : leviers stratégiques encore sous-traités.
Volets sociaux au-delà de S1 : faible couverture des travailleurs de la chaîne de valeur, communautés affectées, consommateurs.
Indicateurs financiers liés à la durabilité : connectivité encore embryonnaire entre performance ESG et performance économique.

KPMG insiste sur un point : l’étape suivante est de transformer un reporting conforme en outil stratégique de pilotage. Cela suppose de passer du « dire » au « prouver », et du « prouver » au « financer ». La donnée n’est plus une fin en soi : elle doit devenir un levier de décisions.

Et après ?
Le rapport annonce un Tome 2 à venir, centré sur la taxonomie verte européenne. Ce second opus permettra d’analyser comment les entreprises traduisent leurs engagements environnementaux en alignement avec les critères économiques durables définis par l’UE, et donc comment elles articulent réglementation, stratégie et investissement.

La ressource

CSRD 2025 – Enseignements tirés des publications des grandes entreprises françaises

Un florilège des synthèses de 6 acteurs qui comptent sur le marché

La première vague de la CSRD a suscité une effervescence d’analyses, de diagnostics et de réflexions. Ici, je vous propose un florilège de travaux pour tous les goûts — du plus technique au plus stratégique, du plus sectoriel au plus transversal.

Forvis Mazars nous offre une série de cahiers sectoriels d’une grande rigueur : banque, assurance, chimie, énergie, pharmacie, numérique, télécoms, automobile… Chaque secteur est disséqué avec méthode, révélant ses tensions propres, ses trajectoires ESG, ses angles morts et ses avancées. C’est la cartographie la plus complète du paysage européen.

BL évolution, avec son étude transversale, prend de la hauteur. Moins comptable, plus politique, elle interroge le sens du reporting, la place de la RSE dans la stratégie, et appelle à une réappropriation des enjeux par les dirigeants.

We Mean Business Coalition choisit l’inspiration. Elle ne classe pas, mais met en lumière les approches audacieuses, les narratifs puissants, les plans de transition crédibles. C’est une galerie de portraits ESG.

L’EFRAG, bras technique de la Commission européenne, propose une vision panoramique. Son portail statistique sur 656 rapports est un outil de pilotage normatif, utile pour comprendre les tendances, les lacunes, et les zones de maturité.

Datamaran nous plonge dans au coeur des données. Son analyse de plus de 11 000 IROs révèle les dynamiques profondes du pilotage ESG : les impacts négatifs dominent, la chaîne de valeur reste difficile à intégrer, mais les IROs deviennent le cœur de la gouvernance durable.

Et KPMG, enfin, nous livre une synthèse puissante de 54 entreprises issues du CAC 40 et du Next 20, scrutées à travers une grille de plus de 400 critères croisant lecture quantitative et analyse qualitative. La France est en avance sur la conformité, mais en retard sur l’intégration stratégique. Derrière des rapports denses et bien structurés, le cabinet révèle des zones grises : scope 3 sous-traité, adaptation climatique marginale, connectivité financière embryonnaire. Son message est clair : il est temps de passer du reporting à la transformation, de la donnée à la décision.

Au fil des jours à venir, je publierai les 6 analyses sur cette chaîne. mais dès maintenant, voici les ressources:

Les ressources

KPMG


BL Evolution


We Mean Business


EFRAG


Datamaran


Forvis Mazars

Comprendre et restaurer les zones humides, matrices du vivant, sentinelles du climat – Ramsar

✴️ *Mon incitation personnelle à la lecture de ce rapport: Un rapport d’EY de juin 2025 (à retrouver dans les ressources en fin de synthèse) analyse le traitement des enjeux biodiversité par les entreprises. Il montre que malgré la montée en puissance des cadres réglementaires comme la CSRD, le TNFD ou le SBTN, la majorité des entreprises restent focalisées sur des enjeux génériques, et de proximité avec l’aval de leur activité. Pourtant, la considération de milieux aussi stratégiques que les zones humides aurait un intérêt stratégique autant qu’une capacité d’impact important. Les zones humides sont des infrastructures naturelles critiques : elles régulent l’eau, stockent le carbone, soutiennent la biodiversité, protègent contre les aléas climatiques. Leur disparition accélérée — 22 % depuis 1970 — représente une perte massive de capital naturel, souvent invisible dans les reporting extra-financiers. Le rapport Ramsar objet de ce post donne une grille de lecture précieuse pour les directions RSE qui souhaitent renforcer la robustesse de leur stratégie biodiversité :

  • Cartographier les dépendances : les zones humides sont souvent en lien direct avec les chaînes d’approvisionnement (agriculture, agroalimentaire, cosmétique, énergie).
  • Identifier les risques physiques et réglementaires : inondations, stress hydrique, conflits d’usage, obligations de restauration.
  • Valoriser les co-bénéfices : solutions fondées sur la nature, adaptation climatique, acceptabilité sociale des projets.
  • Intégrer les zones humides dans les indicateurs de performance : via les outils du TNFD, les métriques de capital naturel, et les plans d’action biodiversité.
    Cela pourrait permettre d’ élargir le périmètre de la responsabilité écologique et de reconnaître les zones humides comme des actifs stratégiques, au même titre que l’eau, le sol ou le climat.
✴️ En quelques mots : Les zones humides disparaissent plus vite que nous ne les comprenons. Depuis 1970, près d’un quart de leur surface s’est évaporé, emportant avec elle des milliards de tonnes de carbone, des millions d’espèces, et des services écosystémiques vitaux pour l’humanité. Ce rapport de Ramsar 2025 en dresse un état des lieux et explique la crise systémique en cours où la perte des zones humides incarne l’effondrement silencieux de notre capital naturel. Le rapport expose les causes profondes de cette érosion — économiques, politiques, climatiques — et propose une feuille de route transformationnelle : restaurer, intégrer, financer, gouverner autrement. Les zones humides ne doivent pas être des marges, mais considérées comme des matrices du vivant, des infrastructures naturelles stratégiques, et des alliées oubliées dans la lutte contre les dérèglements globaux.

Introduction – Le chant profond des zones humides dans un monde en bascule

Un basculement systémique
La perte et la dégradation des zones humides ne sont plus des phénomènes périphériques, mais bien des symptômes d’un effondrement écologique global. Ces milieux sont pourtant les piliers invisibles de notre sécurité hydrique, alimentaire, climatique et culturelle. Leur disparition accélérée — 22 % depuis 1970 — révèle une fracture profonde entre les dynamiques économiques dominantes et les équilibres biogéophysiques essentiels à la vie.

Une convergence des crises
Le rapport articule les zones humides comme nœuds critiques d’un triptyque systémique : climat, biodiversité, eau. Cette approche est renforcée par les dernières évaluations du GIEC et de l’IPBES, qui soulignent l’interdépendance entre les écosystèmes et les trajectoires humaines. Les zones humides sont des matrices au coeur de la biodiversité, et non à sa marge. Leur santé conditionne celle des sociétés.

Des ambitions à la hauteur du péril
Le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, fixe des objectifs ambitieux mais encore largement théoriques : restaurer 30 % des écosystèmes dégradés, conserver 30 % des terres et des eaux, et renforcer les contributions de la nature aux populations. Ces cibles sont confrontées à une inertie politique, à des lacunes de financement, et à une fragmentation des approches.

Un appel à la transformation
Les auteurs de ce rapport proposent une feuille de route transformationnelle, fondée sur l’intégration des zones humides dans les politiques climatiques, hydriques et de développement durable. Ils proposent une refonte des indicateurs de progrès, une reconnaissance des valeurs multiples de la nature (économiques, culturelles, spirituelles), et une mobilisation intersectorielle. Ils insistent sur la nécessité de passer d’une logique de réparation à une logique de préservation proactive, où les zones humides sont vues comme des infrastructures naturelles stratégiques.

Une tonalité d’urgence et d’espoir
Le rapport évoque les initiatives en cours (Défi de l’eau douce, Mangrove Breakthrough), les progrès inégaux des États, et les opportunités offertes par les outils de comptabilité du capital naturel. Il reconnaît les limites des données disponibles, mais refuse que l’incertitude serve de prétexte à l’inaction. L’introduction est un manifeste pour une écologie de la lucidité dont la complexité devient moteur d’action.

Anatomie d’un effacement : la disparition silencieuse des zones humides

Une érosion massive et continue
Depuis 1970, le monde a perdu environ 22 % de la superficie totale des zones humides, soit une disparition moyenne de 0,52 % par an. Cette dynamique touche tous les types de zones humides — des marais intérieurs aux récifs coralliens — avec une intensité variable mais constante. Les marais, tourbières et lacs représentent les pertes les plus importantes en surface. Cette érosion est spatiale mais aussi fonctionnelle, affectant la capacité des zones humides à fournir des services écosystémiques vitaux.

Des facteurs multiples, une trajectoire commune
Une constellation de pressions anthropiques sont responsables de cette dégradation :

  • Pollution (urbaine, agricole, industrielle)
  • Urbanisation et infrastructures
  • Agriculture intensive et drainage
  • Espèces exotiques envahissantes
  • Changements climatiques, qui exacerbent les autres facteurs

Ces pressions varient selon les régions : l’Afrique et l’Amérique latine sont marquées par l’urbanisation et l’industrialisation ; l’Europe par la sécheresse ; l’Amérique du Nord et l’Océanie par les espèces envahissantes.

Un effondrement des services écosystémiques
La perte des zones humides entraîne une réduction drastique des services qu’elles rendent : régulation du climat, purification de l’eau, protection contre les inondations, stockage du carbone, ressources alimentaires et culturelles. Leur valeur économique annuelle est estimée à 7 980 milliards Int$ 2023, soit 7,5 % du PIB mondial. Le coût cumulé des pertes depuis 1970 est évalué à 5 100 milliards Int$ 2023.

Définition du « Int$ » (Wikipedia) : Le dollar international ou dollar Geary-Khamis est une unité qui possède le même pouvoir d’achat que le dollar américain aux Etats-Unis, à un moment donné (ici 2023), il permet de comparer les statistiques entre les pays en indexant les pouvoirs d’achats des différents pays.

Des données encore sous-estimées
Les chiffres disponibles sont probablement en deçà de la réalité, car ils ne tiennent pas compte des zones humides dégradées mais non détruites. La superficie actuelle (1 425 millions d’hectares) pourrait avoir été de 1 837 millions d’hectares en 1970. Cette érosion invisible rend d’autant plus urgente une meilleure surveillance et une comptabilité écologique rigoureuse.

Un appel à la lucidité stratégique
Nous avons donc besoin d’une prise de conscience systémique : la perte des zones humides est un signal d’alarme global sur la trajectoire de nos sociétés. Il est nécessaire d’intégrer ces milieux dans les politiques climatiques, hydriques et de développement, et de reconnaître leur rôle comme infrastructures naturelles critiques.

Ce que vaut la vie : zones humides, capital naturel et dette écologique

Une richesse invisible mais essentielle
Les zones humides génèrent chaque année une valeur économique estimée à 7 980 milliards Int$ 2023, soit plus de 7,5 % du PIB mondial. Cette contribution dépasse celle de nombreux secteurs industriels, tout en étant largement sous-évaluée dans les politiques économiques. Pourtant, leur disparition depuis 1970 représente une perte cumulée de 5 100 milliards Int$ 2023, sans compter les coûts écologiques et sociaux non monétisables.

Des services écosystémiques irremplaçables
Les zones humides assurent des fonctions vitales : régulation du climatépuration de l’eauprotection contre les inondationsstockage du carboneressources alimentairesvaleurs culturelles et spirituelles. Elles surpassent même d’autres écosystèmes naturels en termes de bénéfices pour les populations humaines. Leur valeur n’est pas seulement dans leur utilité, elles possèdent une valeur intrinsèque, en tant que systèmes vivants, sacrés pour de nombreuses cultures autochtones et essentiels à la biodiversité planétaire.

Une dette écologique croissante
La poursuite de leur dégradation entraîne des pertes supplémentaires qui ne sont pas équitablement réparties : les communautés les plus dépendantes des zones humides — souvent rurales, autochtones ou marginalisées — sont aussi les plus vulnérables à leur disparition. L’inaction coûte plus cher que la conservation, et les bénéfices de la restauration dépassent largement les investissements nécessaires.

Des lacunes dans l’évaluation
Malgré leur importance, de nombreux types de zones humides ne sont pas inclus dans les analyses économiques faute de données fiables. Cela concerne notamment les eaux marines peu profondes, les rivières intermittentes, ou les zones humides côtières. Cette absence de données empêche une prise de décision éclairée et renforce la marginalisation de ces milieux dans les politiques publiques.

Un appel à intégrer la nature dans les décisions
Intégrer les zones humides dans tous les niveaux du processus décisionnel est une exigence stratégique. Cela implique de reconnaître leur rôle dans le capital naturel, de réformer les indicateurs économiques, et de combler le déficit colossal de financement qui freine leur conservation. Sans cette intégration, notre capacité à régénérer les biens et services de la biosphère restera compromise.

Restaurer le vivant : vers une écologie de la réparation

Des objectifs mondiaux ambitieux mais fragmentés
Dans les engagements du Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal, il est fixé des cibles de conservation et de restauration des zones humides. Ces objectifs — restaurer 30 % des écosystèmes dégradés, conserver 30 % des terres et des eaux — restent largement théoriques sans une mobilisation politique, financière et institutionnelle cohérente.

Des retombées systémiques
La restauration des zones humides est une solution triple : elle favorise la biodiversité, atténue les changements climatiques, et soutient les objectifs de développement durable. Ces milieux agissent comme des puits de carbone, des réservoirs de biodiversité, et des barrières naturelles contre les catastrophes climatiques. Leur restauration est donc un levier stratégique pour répondre aux crises convergentes.

Quatre priorités pour la décennie à venir
Ainsi, voici les axes d’action prioritaires identifiés:

  1. Intégrer la restauration dans tous les secteurs : agriculture, urbanisme, infrastructures hydriques.
  2. Réformer les logiques économiques court-termistes : privilégier les bénéfices écologiques et sociaux à long terme.
  3. Accroître les financements : combler le déficit structurel qui freine les projets de restauration.
  4. Réorienter les subventions : supprimer celles qui nuisent aux zones humides et renforcer celles qui les protègent.

Un déficit de financement critique
La conservation et la restauration des zones humides souffrent d’un manque chronique de ressources.Des flux financiers préjudiciables, notamment les subventions aux industries polluantes, sapent les efforts de protection. Il faut une réforme profonde des mécanismes économiques, en cohérence avec la cible 18 du Cadre mondial de la biodiversité, qui vise à éliminer les incitations nuisibles à la nature.

Un changement transformateur nécessaire
Il y a une exigence de transformation systémique : il ne suffit plus d’ajuster les politiques existantes, il faut réinventer les cadres de décisionintégrer les approches, et donner aux communautés locales les moyens d’agir. Les zones humides doivent être reconnues comme des actifs stratégiques du capital naturel, et non comme des variables d’ajustement.

Gouverner le vivant : vers une rationalité écologique

Un tournant stratégique
Les auteurs proposent des pistes concrètes pour transformer la conservation des zones humides en une dynamique systémique, intégrée aux politiques économiques, hydriques et territoriales, pas seulement pour protéger ce qui reste, mais surtout pour refonder les logiques de gouvernance autour de la valeur réelle de ces milieux.

1. Réévaluer le capital naturel dans les décisions économiques

La première piste insiste sur la nécessité de reconnaître la valeur plurielle des zones humides — économique, écologique, culturelle — dans les processus décisionnels. Les services qu’elles rendent sont souvent des biens publics, ignorés par les mécanismes de marché. Cette invisibilité conduit à des décisions qui favorisent leur dégradation. Le rapport s’appuie sur les travaux de l’IPBES, qui propose plus de 50 méthodes d’évaluation des valeurs de la nature, applicables aux zones humides. Il appelle à une révolution mentale : intégrer ces valeurs dans la comptabilité nationale et dans les mécanismes financiers.

2. Intégrer les zones humides dans le cycle mondial de l’eau

La deuxième piste rappelle que les zones humides sont au cœur du cycle hydrologique mondial. Elles ne sont pas des entités isolées. Elles sont des nœuds fonctionnels qui régulent les flux d’eau, soutiennent les nappes phréatiques, et protègent contre les extrêmes climatiques. Leur conservation doit donc être intégrée aux politiques de gestion de l’eau, à tous les niveaux — local, national, transfrontalier.

3. Donner priorité aux zones humides dans les politiques publiques

La troisième piste est de repositionner les zones humides comme priorité stratégique dans les politiques d’aménagement, de développement et de résilience climatique. Cela implique de réformer les subventions, de mobiliser les investissements privés, et de renforcer les capacités locales. Le rapport critique les flux financiers actuels qui soutiennent des activités nuisibles aux zones humides, et propose une réorientation vers des investissements régénératifs.

Une gouvernance à refonder
Il faut mettre en oeuvre une refonte de la gouvernance environnementale : il faut passer d’une logique de réparation à une logique de prévention et de valorisation. Cela suppose une coopération intersectorielle, une mobilisation des savoirs locaux et autochtones, et une transparence accrue dans les décisions économiques.

Voir pour agir : cartographier, évaluer, restaurer

Une révolution par les données
Il y a des outils de suivi et d’évaluation qui permettent de mieux comprendre l’état des zones humides, d’identifier les pressions qu’elles subissent, et de guider les efforts de restauration. Il s’agit d’une écologie de la connaissance, fondée sur l’imagerie satellitaire, les cartes d’occupation des sols (LULC), et les systèmes de notation expertisés.

Cartographier pour restaurer

Grâce à des séries chronologiques d’images satellitaires, il est désormais possible de :

  • Identifier les zones humides existantes
  • Évaluer leur état de conservation
  • Repérer les pressions et menaces
  • Déterminer les zones restaurables
    Un système de notation permet d’estimer le degré de restaurabilité selon la transformation subie : les zones devenues urbaines ou industrielles reçoivent un score faible, tandis que les terres agricoles irriguées sont jugées plus propices à la restauration. Cette méthode a été appliquée au bassin du Sebou (Maroc), où 93 % des zones humides ont disparu, illustrant l’urgence d’une approche stratégique.

Méthodologie d’évaluation automatisée

Une méthode théorique permet d’évaluer les impacts sur les zones humides selon quatre dimensions :

  • Hydrologie
  • Qualité de l’eau
  • Végétation
  • Géomorphologie
    Ces impacts sont pondérés selon le type de zone humide (dépression, suintement, plaine d’inondation, fond de vallée). Toutefois, le rapport souligne que certains dommages ne sont détectables qu’en terrain, ce qui signifie que les évaluations nationales pourraient sous-estimer la dégradation réelle.

Un exemple critique : l’Afrique du Sud

Les zones humides sud-africaines se dégradent plus vite qu’elles ne peuvent être restaurées, malgré les investissements. Le rapport présente une typologie de l’état écologique :

  • Gravement modifiées (D/E/F)
  • Modérément modifiées (C)
  • Naturelles ou quasi naturelles (A/B)
    La fonction écosystémique décroît à mesure que le coût de restauration augmente, ce qui appelle à une intervention précoce.

Les ressources

CSRD : Le nouveau cadre du reporting anticorruption expliqué par l’AFA

À partir de fin 2025, plusieurs milliers d’entreprises françaises devront publier leurs informations extra-financières selon la directive CSRD, incluant des indicateurs anticorruption. Cette obligation touchera de nombreuses entreprises non assujetties à la loi Sapin II. L’Agence Française Anticorruption propose dans ce rapport une approche progressive et structurée pour mettre en œuvre un dispositif de conformité adapté, facilitant le futur reporting.

❇️ Introduction : La directive CSRD et les nouveaux enjeux de reporting anticorruption

La directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) introduit un changement majeur dans le paysage du reporting extra-financier, en renforçant considérablement les exigences relatives aux informations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Un aspect important : les obligations de reporting en matière de lutte anticorruption, qui s’étendent désormais à des entreprises jusqu’alors non soumises à l’article 17 de la loi Sapin II.

❇️ Calendrier et périmètre d'application

Le déploiement de la directive s’échelonne selon un calendrier précis, avec une première vague d’entreprises concernées dès 2024 pour une publication en 2025. Les critères d’assujettissement sont progressifs :

  • 2024 (publication 2025) : Entreprises cotées sur un marché réglementé européen avec plus de 500 salariés et dépassant certains seuils financiers (bilan > 25M€ ou CA > 50M€)
  • 2025 (publication 2026) : Élargissement aux entreprises dépassant deux des trois seuils suivants :
    • Bilan > 25M€
    • CA net > 50M€
    • Plus de 250 salariés
  • *2026 (publication 2027) : Extension aux PME cotées et établissements de crédit de petite taille
  • 2028 (publication 2029)* : Inclusion des entreprises non-européennes réalisant un CA européen > 150M€

❇️ Les bénéfices stratégiques de la mise en œuvre d'un dispositif anticorruption

La mise en place progressive d’un dispositif anticorruption, au-delà de la simple conformité réglementaire, génère des avantages considérables qui touchent l’ensemble des dimensions de l’entreprise. Cette approche structurée crée un cercle vertueux qui renforce tant les processus internes que les relations externes.

➡️ Une transformation interne créatrice de valeur

L’implémentation d’un dispositif anticorruption catalyse une véritable transformation opérationnelle. Elle permet d’optimiser significativement la collecte et le traitement des données nécessaires au reporting de durabilité. Cette rationalisation se traduit par un double gain d’efficacité :

  • d’une part, une réduction notable du temps consacré à la collecte d’informations,
  • et d’autre part, une amélioration substantielle de la qualité et de la fiabilité des données transmises.
    Plus fondamentalement encore, ce dispositif constitue un bouclier protecteur contre les risques de corruption, tout en servant de catalyseur pour moderniser la gouvernance et affiner les processus décisionnels de l’entreprise.

➡️ Un facilitateur des relations commerciales et financières

L’impact positif du dispositif se manifeste également dans la sphère des relations d’affaires. Dans un contexte où l’évaluation de l’intégrité des partenaires devient une pratique courante, disposer d’un système anticorruption formalisé facilite considérablement les due diligences menées par les partenaires commerciaux. Le rapport souligne particulièrement l’importance croissante de ces évaluations, qui s’inscrivent de plus en plus fréquemment dans les clauses contractuelles.
Du côté financier, l’existence d’un tel dispositif peut s’avérer déterminante : les établissements bancaires et les investisseurs conditionnent désormais souvent leurs financements au respect d’obligations de conformité anticorruption. Disposer d’un dispositif robuste peut ainsi devenir un véritable sésame pour accéder aux ressources financières nécessaires au développement de l’activité.

➡️ Un investissement dans le capital réputation

Sur le plan de l’image et de la réputation, l’adoption d’un dispositif anticorruption constitue un investissement stratégique à long terme. La démonstration d’un engagement concret en faveur de l’éthique des affaires, portée au plus haut niveau par l’instance dirigeante, participe à la construction d’une réputation d’entreprise responsable. Cette démarche d’amélioration éthique continue devient un véritable avantage concurrentiel, particulièrement face à des entreprises de profil comparable. Le rapport insiste sur l’importance d’une communication publique maîtrisée concernant ces avancées en matière de lutte anticorruption, capable de contribuer significativement à une image positive de l’entreprise sur son marché.

❇️ Les huit piliers du dispositif de conformité anticorruption

Le rapport détaille les huit composantes essentielles d’un dispositif anticorruption efficace, en faisant le rapprochement avec les points de mesure de la CSRD, et en ajoutant des références complémentaires :

  1. L’engagement de l’instance dirigeante : Élément fondamental qui initie et porte la démarche anticorruption
  2. La cartographie des risques : Outil indispensable pour identifier et évaluer les situations à risque spécifiques à l’entreprise
  3. Le code de conduite : Document cadre qui matérialise la politique de tolérance zéro de l’entreprise
  4. La formation et la sensibilisation : Programmes adaptés aux différents niveaux de risque des collaborateurs
  5. L’évaluation de l’intégrité des tiers : Processus permettant de sécuriser les relations d’affaires
  6. Le dispositif d’alerte interne : Système de remontée des signalements de comportements inappropriés
  7. Les contrôles comptables : Mécanismes de détection des opérations suspectes
  8. Le contrôle interne : Dispositif à trois niveaux pour assurer l’efficacité des mesures mises en place

❇️ Indicateurs de reporting anticorruption

Les exigences de reporting se structurent autour de plusieurs indicateurs clés :

  • Description des mécanismes de détection et de signalement
  • Identification des fonctions exposées aux risques
  • Présentation des systèmes de prévention et de détection
  • Détails sur les formations anticorruption
  • Information sur les cas de corruption survenus

❇️ Références et approfondissement

ObsAR – La décarbonation des achats : cartographie d’un écosystème digital en pleine effervescence

Dans un monde où le changement climatique devient une préoccupation majeure, la décarbonation des achats émerge comme un levier crucial pour les entreprises soucieuses de réduire leur empreinte carbone. L’Observatoire des Achats Responsables (ObsAR) s’est attelé à cartographier le paysage des plateformes digitales dédiées à cette noble quête.

❇️ Méthodologie : le RFI (Request for Information), loupe grossissante sur un univers complexe
L’ObsAR a opté pour un Request For Information (RFI). Ce questionnaire, véritable sonde envoyée dans les profondeurs des offres des plateformes, comportait plus d’une centaine de questions, réparties en cinq thématiques principales :

  1. Positionnement stratégique
  2. Prestations fonctionnelles
  3. Méthodologie
  4. Prestations techniques / IT
  5. Modèle d’affaires

Cette approche multidimensionnelle permet de capturer la complexité des solutions proposées, allant bien au-delà d’une simple comparaison de fonctionnalités.

❇️ Résultats : un écosystème diversifié aux contours flous
L’analyse des réponses au RFI révèle un paysage contrasté, où cohabitent des acteurs aux profils variés. On y trouve aussi bien des « pure players » de la décarbonation que des plateformes plus généralistes intégrant progressivement ces fonctionnalités.

Un constat s’impose : aucune plateforme ne couvre l’intégralité des besoins identifiés. C’est un peu comme si chaque acteur avait développé sa propre pièce d’un puzzle géant, sans nécessairement décider d’une vision d’ensemble.

Zoom sur les fonctionnalités clés :

  1. Collecte et calcul des émissions de GES : C’est le socle commun à la plupart des plateformes. Elles excellent généralement dans la collecte de données et le calcul des émissions, que ce soit au niveau du fournisseur, d’un site spécifique, voire d’un processus particulier.
  2. Pilotage des émissions et plans de réduction : Ici, le terrain devient plus accidenté. Si la plupart des plateformes offrent des fonctionnalités de suivi, la gestion fine des trajectoires de réduction et l’alignement avec des objectifs stratégiques restent des domaines en développement.
  3. Intégration au processus d’appel d’offres : C’est peut-être le parent pauvre de l’écosystème actuel. La comparaison fine des produits ou processus sur le plan des émissions de GES, intégrée au processus d’achat, reste un défi à relever.
  4. Engagement des fournisseurs : Un point crucial qui fait l’objet d’approches variées. Certaines plateformes misent sur la formation, d’autres sur la simplicité d’utilisation. L’enjeu : embarquer l’ensemble de la chaîne de valeur, y compris les PME.
  5. Évaluation de la maturité du panel fournisseurs : On observe une tendance à l’intégration des données d’émissions de GES dans les systèmes d’évaluation fournisseurs existants. C’est la promesse d’une vision plus holistique de la performance fournisseur.
  6. Intégration aux systèmes de reporting ESG : Un chantier en cours pour de nombreuses plateformes, stimulé par l’arrivée imminente de la directive CSRD.

❇️ Défis et perspectives : vers une maturité du marché ?
L’étude de l’ObsAR identifie plusieurs défis majeurs :

  1. L’harmonisation des méthodes de calcul et des référentiels utilisés
  2. L’engagement de l’ensemble des fournisseurs, en particulier les PME
  3. L’optimisation de la mesure sur l’ensemble du cycle de vie des produits
  4. L’intégration fluide des données d’émissions dans les processus d’achat existants

Les perspectives d’évolution sont nombreuses. L’IA pourrait bien jouer un rôle de catalyseur, en facilitant l’analyse de données complexes et la prédiction de trajectoires d’émissions. Par ailleurs, la pression réglementaire croissante, notamment avec l’arrivée de la CSRD, devrait accélérer la maturation et la consolidation du marché.

L’ObsAR révèle avec cette étude un écosystème en pleine effervescence, riche de promesses mais aussi de défis. Les plateformes digitales de décarbonation des achats apparaissent comme des outils essentiels dans la quête d’une économie plus durable. Cependant, leur efficacité reposera sur leur capacité à s’intégrer harmonieusement dans les processus existants et à embarquer l’ensemble de la chaîne de valeur dans cette transformation.

Le chemin vers la décarbonation des achats est encore longue et sinueuse, mais les jalons technologiques sont posés. Reste maintenant aux entreprises à s’en saisir pour transformer leurs pratiques et contribuer activement à la lutte contre le changement climatique.

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Avis du CESE : L’IA à la croisée des chemins – opportunité écologique ou bombe à retardement environnementale ?

Une nouvelle Cassandre se profile à l’horizon dans les méandres de l’ère numérique : l’Intelligence Artificielle (IA). L’IA se présente aujourd’hui comme une entité à deux visages, à la fois prometteuse et menaçante pour notre environnement. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’est penché sur cette dualité et nous propose un portrait nuancé de ce Prométhée moderne.

« Le progrès, c’est bien, mais il ne faudrait pas qu’il dure », plaisantait Woody Allen. Cette boutade prend tout son sens face à l’essor fulgurant de l’IA. D’un côté, elle se présente comme porteuse de sagesse et de solutions pour nos défis environnementaux. De l’autre, elle menace de dévorer nos ressources dans un labyrinthe de data centers toujours plus gourmands.

🟢 Commençons par le visage radieux de notre Janus numérique.
L’IA semble être une alliée précieuse dans notre quête d’harmonie avec la nature. Elle prédit par exemple les caprices du climat avec une précision croissante. Les travaux de Claire Monteleoni sur la prévision des trajectoires des ouragans en sont un exemple éloquent. Dans le domaine de la biodiversité, des plateformes comme Pl@ntNet transforment chaque smartphone en baguette de sourcier botanique, identifiant et cartographiant la flore à l’échelle planétaire.

L’IA s’immisce également dans nos villes, nos champs, nos usines, optimisant l’utilisation de nos ressources. Elle orchestre les ballets urbains de nos véhicules, insuffle une intelligence nouvelle à nos réseaux électriques, optimise la consommation de nos bâtiments. Dans nos campagnes, elle devient le berger attentif de nos cultures, dosant eau et nutriments au gramme près. L’air est également contrôlé de près par exemple au travers de la concentration de particules fines plusieurs heures à l’avance, comme le dépôts d’ordures illégales.

🟢 Mais voici que se dessine l’autre visage de notre Janus numérique, celui qui fait frémir Gaïa.
Car l’IA, dans sa quête insatiable de puissance, dévore l’énergie avec voracité. L’entraînement de GPT-3 a englouti l’équivalent de la consommation annuelle de 120 foyers américains. Son successeur, GPT-4, s’est montré quarante fois plus glouton encore. On croirait entendre le rire sardonique de HAL 9000 face à notre naïveté énergétique.

Ce n’est pas tout. L’IA, alchimiste fou, transmute nos ressources en or numérique, laissant derrière elle des montagnes de déchets électroniques. Elle puise dans nos réserves de métaux rares (dont le taux de recyclage reste limité) avec l’avidité d’un chercheur d’or de la ruée vers l’Ouest. Pire encore, elle s’abreuve à nos sources avec une soif inextinguible. Les projections pour 2027 sont vertigineuses : entre 4,2 et 6,6 milliards de mètres cubes d’eau engloutis, soit l’équivalent de la consommation du Danemark. Enfin elle avale les terres par une artificialisation croissante pour des infrastructures de stockages et de traitement de données qui menacent la biodiversité et les écosystèmes locaux.

🟢 Face à ce Janus numérique, le CESE propose une Odyssée de la responsabilité.
Il tisse une toile de mesures apte à dompter notre créature digitale. Formation, recherche, évaluation, transparence : autant de fils pour tisser un avenir où l’IA serait plus messagère agile que forgeron vorace.

➡️ D’abord, il propose une gouvernance internationale, pour inscrire l’empreinte écologique de l’IA sur la carte des enjeux mondiaux. Cette démarche permettrait d’étudier l’impact de l’IA sur les Objectifs de Développement Durable.
➡️ Le CESE prône également une refonte de la formation et de la recherche. Il s’agit de former une nouvelle génération d’experts numériques capables de créer des IA « frugales » avec des financements publics.
➡️ Le troisième volet de cette toile : créer un référentiel d’évaluation de l’empreinte environnementale des IA. Cette transparence serait le phare guidant les utilisateurs vers les solutions les plus sobres.
➡️ L’écoconception et la durabilité forment le quatrième volet. Il s’agit de forger des équipements durables et efficaces, tout en veillant à ce que nos centres de données ne deviennent pas de nouvelles tours de Babel dévorant nos terres.
➡️ Le cinquième volet: des campagnes d’information et la possibilité de déconnecter certains usages d’IA.
➡️Enfin, le CESE propose d’optimiser nos infrastructures au travers de la récupération de la chaleur fatale des centres de données, tandis que le système européen de notation de durabilité serait là pour guider la conception de ces temples modernes.

🟢 Mais ne soyons pas naïfs.
« La science rassemble le savoir plus vite que la société ne rassemble la sagesse » disait Isaac Asimov. L’IA nous place face à un défi prométhéen : comment maîtriser ce feu numérique sans nous brûler ? La réponse réside peut-être dans une approche holistique, une partition où technologie et écologie joueraient en harmonie.

L’IA, en même temps que sa quête d’omnipuissance, saura-t-elle interpréter par elle-même et pour ses créateurs les paroles d’Antoine de Saint-Exupéry, « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants »(Terre des hommes)

L’enjeu majeur réside dans notre capacité à orienter le développement de l’IA vers des usages véritablement utiles et sobres, tout en minimisant son impact écologique. Cela nécessite une approche holistique, impliquant tous les acteurs de la société : décideurs politiques, entreprises, chercheurs et citoyens.

La mise en œuvre des recommandations du CESE pourrait constituer un premier pas vers une IA plus respectueuse de l’environnement. Toutefois, ce n’est qu’en maintenant une vigilance constante et en favorisant un débat public éclairé que nous pourrons espérer faire de l’IA un véritable allié dans notre lutte contre le changement climatique et la préservation de notre planète.

L’avenir de l’IA se jouera dans notre capacité à concilier innovation technologique et impératif écologique. C’est un défi complexe, mais incontournable.

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Le PNUD et ISO nous livrent les lignes directrices ISO/UNDP PAS 53002:2024 pour contribuer aux ODDs

Dans l’arène mondiale du développement durable, un nouveau gladiateur vient de faire son entrée. Les lignes directrices ISO/UNDP PAS 53002:2024 pour contribuer aux Objectifs de développement durable des Nations Unies se dressent telles une colossale statue de Rhodes, enjambant le fossé entre les ambitions globales et l’action locale des entreprises.

Ce document, fruit d’une alliance inédite entre l’ISO et le PNUD, ne se contente pas de recycler les poncifs habituels sur la RSE. Il propose une véritable révolution copernicienne dans l’approche du développement durable par les organisations. L’heure est venue de plonger dans les entrailles de l’entreprise pour en réinventer l’ADN à l’aune des ODD.

Le texte nous invite à un parcours initiatique en trois actes : comprendre, s’engager, transformer.

Acte I : Comprendre. L’organisation est sommée de cartographier son écosystème avec la précision d’un naturaliste du XIXe siècle. Qui sont ses parties prenantes ? Quels sont leurs besoins, leurs attentes, leurs craintes ? Comment l’entreprise impacte-t-elle leur bien-être, positivement ou négativement ? Cette quête de connaissance ne doit épargner aucun recoin, du fournisseur le plus lointain au client le plus fidèle.

Acte II : S’engager. Fort de cette compréhension fine, l’organisation doit alors définir sa raison d’être et ses objectifs en matière d’ODD. Mais attention, pas question de se contenter d’objectifs cosmétiques ! Le document exige une ambition à la hauteur des enjeux planétaires. Les dirigeants sont appelés à une véritable conversion, à embrasser les principes du développement durable comme un moine bouddhiste embrasserait les préceptes du Bouddha.

Acte III : Transformer. C’est ici que le texte prend toute sa dimension révolutionnaire. Il ne s’agit plus simplement d’intégrer les ODD dans la stratégie existante, mais de repenser l’intégralité du modèle d’affaires à travers le prisme du développement durable. Processus de décision, gestion des ressources humaines, innovation, chaîne d’approvisionnement… Aucun aspect de l’organisation n’échappe à cette métamorphose.

Le document insiste particulièrement sur la nécessité d’une approche holistique et systémique. Les ODD ne sont pas un menu à la carte où l’on piocherait les objectifs les plus faciles à atteindre. Ils forment un tout indivisible, interconnecté, à l’image de notre écosystème planétaire. L’entreprise doit donc jongler avec ces 17 balles, cherchant constamment l’équilibre optimal entre des objectifs parfois contradictoires.

Mais la véritable innovation de ce texte réside dans son approche de la mesure d’impact. Exit les indicateurs et les KPI réducteurs ! Le document prône une évaluation multidimensionnelle, prenant en compte non seulement les résultats directs de l’action de l’entreprise, mais aussi ses effets indirects, à long terme, sur l’ensemble de son écosystème. Une tâche herculéenne, certes, mais ô combien nécessaire pour saisir la réalité complexe de notre monde interconnecté.

Le texte ne se contente pas de fixer des objectifs, il fournit aussi une boîte à outils pour les atteindre. Formation des collaborateurs, engagement des parties prenantes, innovation ouverte, partenariats multi-acteurs… Autant de leviers à activer pour faire de l’entreprise un véritable catalyseur du changement.

Enfin, le document aborde la délicate question de la gouvernance. Comment s’assurer que les engagements pris ne resteront pas lettre morte ? Comment intégrer les ODD dans les processus de décision quotidiens ? Le texte propose une refonte en profondeur des structures de gouvernance, plaçant le développement durable au cœur même du pouvoir décisionnel.

Ces lignes directrices sont un véritable manifeste pour une nouvelle génération d’entreprises, pleinement conscientes de leur rôle dans la construction d’un avenir durable. Elles lancent un défi audacieux au monde des affaires : celui de devenir le fer de lance de la transition écologique et sociale, plutôt que son frein. Reste à voir comment ce texte ambitieux sera mis en pratique. Car si la route vers 2030 est pavée de bonnes intentions, elle est aussi semée d’embûches. Les entreprises sauront-elles relever ce défi titanesque ? L’avenir de notre planète en dépend peut-être.

Voici les grandes étapes clés proposées par le guide pour intégrer efficacement les Objectifs de Développement Durable (ODD) dans la stratégie et les opérations d’une organisation (ISO/UNDP PAS 53002:2024)

  1. Compréhension du contexte et engagement de la direction : Commencez par analyser le contexte externe et interne de votre organisation en lien avec les ODD. Cette étape cruciale implique l’identification des enjeux pertinents et l’engagement fort de la direction pour aligner la stratégie de l’entreprise avec les ODD.
  2. Identification et engagement des parties prenantes : Cartographiez vos parties prenantes, en portant une attention particulière aux groupes vulnérables et sous-représentés. Établissez des processus de consultation et de participation pour comprendre leurs besoins, attentes et les impacts potentiels de vos activités sur eux.
  3. Définition de la politique et des objectifs ODD : Élaborez une politique ODD intégrée à votre stratégie globale. Fixez des objectifs ambitieux et mesurables, alignés sur les cibles ODD pertinentes pour votre activité.
  4. Analyse et priorisation des impacts : Identifiez et évaluez les impacts actuels et potentiels de vos activités sur les ODD et vos parties prenantes. Priorisez ces impacts en fonction de leur pertinence et de leur importance pour votre organisation et vos parties prenantes.
  5. Planification et mise en œuvre : Développez des plans d’action pour atteindre vos objectifs ODD, en intégrant ces considérations dans vos processus décisionnels et opérationnels. Allouez les ressources nécessaires et définissez clairement les rôles et responsabilités.
  6. Mesure, suivi et évaluation de la performance : Mettez en place des systèmes de collecte de données et des indicateurs pertinents pour suivre votre progression vers vos objectifs ODD. Analysez régulièrement vos performances et identifiez les écarts par rapport aux attentes.
  7. Communication et reporting : Communiquez de manière transparente sur vos engagements, actions et résultats en matière d’ODD, tant en interne qu’en externe. Préparez des rapports réguliers, idéalement annuels, sur votre contribution aux ODD.
  8. Amélioration continue et innovation : Utilisez les résultats de vos évaluations pour identifier des opportunités d’amélioration. Encouragez l’innovation dans vos modèles d’affaires, produits et services pour optimiser votre contribution aux ODD.
  9. Collaboration et partenariats : Identifiez des opportunités de collaboration avec d’autres acteurs (entreprises, gouvernements, ONG) pour maximiser votre impact positif et résoudre des défis complexes liés aux ODD.

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« Quand on peut, on veut » : La symphonie silencieuse de la transition écologique / IDDRI

Dans le grand orchestre de la transition écologique, nous avons longtemps cru que les solistes – ces consommateurs éclairés brandissant fièrement leurs gourdes réutilisables – mèneraient la danse. Mais voilà que l’Iddri vient bouleverser la partition. L’étude « Quand on peut, on veut » nous propose de reconsidérer la transition non plus comme un concerto pour individu et société, mais comme une vaste symphonie où chaque section de l’orchestre – des politiques publiques aux entreprises, en passant par les infrastructures – joue un rôle crucial.

Fini le temps où l’on attendait du consommateur qu’il entonne seul l’air de la responsabilité écologique. L’Iddri nous propose un renversement des responsabilités : et si, plutôt que d’exiger une prise de conscience individuelle, nous composions un environnement où les pratiques vertueuses deviendraient aussi naturelles que de respirer ? C’est là tout l’enjeu de cette approche par les « modes de vie », qui sonne comme une évidence et pourtant résonne comme une révolution.

Au cœur de cette partition complexe, quatre pupitres environnementaux – physique, socio-culturel, économique et cognitif – dont l’harmonie ou la dissonance façonnent nos pratiques quotidiennes. L’Iddri nous invite à une écoute attentive de cette musique souvent imperceptible qui rythme nos vies, pour mieux en ajuster les notes.

L’approche de l’Iddri se veut une ode à la diversité sociale, reconnaissant que chaque groupe possède son propre tempo, ses propres contraintes et aspirations. C’est dans cette polyphonie que réside toute la richesse – et la difficulté – de la transition.

La méthodologie proposée, en quatre mouvements – du diagnostic à la formulation de trajectoires – invite les chefs d’orchestre de la transition – décideurs publics, entreprises, acteurs de la RSE – à une écoute fine des différentes sections de la société, pour mieux orchestrer le changement.

Pour les professionnels de la RSE, cette partition ouvre de nouvelles portées. Il ne s’agit plus seulement de jouer sa propre mélodie vertueuse, mais de contribuer activement à l’harmonie globale. Cela implique de repenser les chaînes d’approvisionnement, d’investir dans des technologies vertes, et de considérer l’engagement des parties prenantes.

Il y a cependant des dissonances à résoudre. Comment surmonter l’inertie des habitudes, ces airs entêtants qui résistent au changement ? Comment gérer la complexité des interactions entre les différentes dimensions de nos vies? Et surtout, comment s’assurer que cette musique du changement soit perçue comme juste et harmonieuse par tous les auditeurs-acteurs de la société ?

L’approche de l’Iddri est de nous proposer des « récits » pour décrire les trajectoires de changement. Ces récits nous permettent d’imaginer comment les pratiques peuvent évoluer, comment les environnements peuvent se transformer, dans un ballet subtil entre l’individuel et le collectif.

En filigrane de cette partition ambitieuse se dessine une réflexion profonde sur la nature même du changement social comme harmonie collective à construire, dans laquelle il faut reconsidérer la responsabilité de chacun – individus, entreprises, pouvoirs publics..

Cette approche par les modes de vie résonne comme un appel à l’action collective, mais aussi comme un appel à l’humilité. Le changement ne se décrète pas, mais se cultive patiemment, note après note, pratique après pratique.

« Quand on peut, on veut » nous permet de regarder différemment nos vies quotidiennes, de percevoir les contraintes mais aussi les potentiels de changement. Elle nous encourage à devenir, chacun à notre niveau, des compositeurs du changement, contribuant à cette vaste symphonie de la transition écologique.

Dans ce grand concert de la durabilité, chaque geste compte, chaque note importe. Mais c’est bien l’harmonie de l’ensemble, savamment orchestrée, qui permettra de faire émerger cette mélodie d’un monde plus durable, que nous aspirons tous à entendre.

Les entreprises sont au coeur de cette « symphonie du changement »

  • Architectes d’environnements vertueux : créatrices d’environnements propices aux pratiques durables. Cela va bien au-delà de la simple offre de produits « verts ». Il s’agit de repenser l’ensemble de l’expérience client pour rendre les choix durables non seulement possibles, mais naturels et désirables. Par exemple, un fabricant d’électroménager ne se contenterait plus de proposer des appareils économes en énergie, mais réfléchirait à la manière dont ses produits peuvent s’intégrer dans et façonner un mode de vie globalement plus durable.
  • Orchestrateurs de changements systémiques : Les entreprises sont appelées à jouer un rôle plus proactif dans la transformation des systèmes au sein desquels elles opèrent. Cela implique de collaborer avec d’autres acteurs – fournisseurs, concurrents, pouvoirs publics, société civile – pour créer des écosystèmes favorables à la durabilité. Une entreprise de l’agroalimentaire, par exemple, ne se contenterait pas d’améliorer ses propres pratiques, mais travaillerait activement à la transformation de l’ensemble de la chaîne de valeur alimentaire.
  • Innovateurs sociaux : L’innovation ne doit plus se limiter aux produits et aux technologies, mais s’étendre aux modèles d’affaires et aux interactions sociales. Les entreprises doivent devenir des laboratoires d’expérimentation de nouveaux modes de consommation, de travail et de vie. Cela pourrait se traduire par le développement de modèles basés sur l’usage plutôt que la propriété, ou par la création d’espaces de travail favorisant des pratiques de vie plus durables.
  • Éducateurs et facilitateurs : Les entreprises ont un rôle crucial à jouer dans l’accompagnement du changement. Elles doivent non seulement informer, mais aussi faciliter l’adoption de nouvelles pratiques. Cela peut impliquer la mise en place de programmes de formation, de systèmes de récompense, ou encore la création d’outils permettant aux consommateurs de mieux comprendre et gérer leur impact environnemental.
  • Cartographes des modes de vie : Pour être efficaces, les entreprises doivent développer une compréhension fine des différents groupes sociaux et de leurs modes de vie. Cela nécessite de nouvelles approches en termes d’études de marché et de segmentation, allant au-delà des critères socio-démographiques traditionnels pour saisir les nuances des pratiques, contraintes et aspirations de chaque groupe.
  • Narrateurs du changement : Les entreprises sont appelées à jouer un rôle crucial dans l’élaboration et la diffusion de nouveaux récits autour de la durabilité. Il s’agit de rendre désirables et aspirationnels des modes de vie plus durables, en utilisant le marketing et la communication de manière responsable et créative.
  • Médiateurs de la transition juste : Les entreprises doivent veiller à ce que la transition soit équitable et inclusive. Cela implique de prendre en compte les impacts potentiellement négatifs des changements sur certains groupes et de mettre en place des mécanismes de soutien et d’accompagnement.
  • Métronomes du long terme : Face à la pression du court-termisme, les entreprises doivent ancrer leur stratégie dans une vision à long terme de la durabilité. Cela peut impliquer de repenser les indicateurs de performance, les systèmes de rémunération et les processus de prise de décision pour mieux aligner les intérêts de l’entreprise avec les impératifs de la transition écologique.

Rapport de l’IDDRI https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/decryptage/quand-peut-veut-conditions-sociales-de-realisation-de-la
Article de Novethic sur ce rapport https://www.novethic.fr/environnement/climat/quand-on-peut-on-veut-le-nouveau-slogan-pour-reussir-la-transition